Auguste Chabaud

Biographie

Entré aux Beaux-Arts d'Avignon à 14 ans, il a pour maître Pierre Grivolas. Puis en 1899, il part à Paris poursuivre ses études à l'Académie Julian et à École des beaux-arts et rencontre Matisse et Derain. La propriété viticole de ses parents subit la crise de 1900, obligeant Auguste à redescendre dans le midi.
En 1901, Auguste Chabaud doit quitter Paris pour gagner sa vie, il s'embarque comme pilotin (ou pilotier) sur un navire et découvre la Côte Occidentale Africaine. La même année son père décède et son frère et lui héritent de la propriété viticole et des terres que seul son frère va gérer. À cette période Auguste travaille beaucoup sur papiers de Boucherie.
De 1903 à 1906, il fait son service militaire en Tunisie d'où il va revenir avec des carnets de croquis remplis d'images locales, on retiendra les nombreux dessins de militaires, d'indigènes et de scènes de bar peuplés de filles et de marins.
De retour à Paris, Chabaud débute en 1907 au Salon des indépendants exposant parmi les fauves. Il va découvrir une nouvelle vie ; celle de la nuit parisienne et des cabarets. Les collectionneurs commencent à s'intéresser à son travail. À Montmartre où il a son atelier, il peint les rues et les places animées ou désertes, les scènes de la vie nocturne et les maisons closes.
En 1911, il entame sa période cubiste, travaille de grands formats et sculpte.
S'ensuivent de nombreuses expositions dont celle de New York en 1913 où il expose aux côtés de Matisse, Derain, Vlaminck et Picasso, puis Chicago, Boston. Ses toiles de la période fauve décrivent parfaitement la vie nocturne parisienne : cabarets, cafés théâtre, prostituées, aux teintes de couleurs vives (jaune, rouge) contrastant avec les couleurs de la nuit (bleu marine, noir).
À son retour de la guerre, en 1919, Auguste Chabaud s'installe définitivement à Graveson, dans les Alpilles. Il y restera jusqu'à la fin de sa vie, vivant reclus dans sa maison avec sa femme et ses sept enfants. Surnommé l'« ermite de Graveson », il meurt en 1955.
C'est à partir de 1920 qu'il entame sa période bleue — il emploie le bleu de Prusse à l'état pur — dans laquelle la Provence, ses personnages et ses coutumes sont mis en avant. Le Sud qu'il n'a jamais cessé de peindre, même dans sa période parisienne, va l'occuper désormais exclusivement. Comme l'avait fait Cézanne avec la Sainte Victoire, Auguste Chabaud immortalisera « la montagnette », peignant des scènes de campagne, des paysans arpentant les collines et sentiers des Alpilles.
On peut voir certaines de ses œuvres au musée Cantini de Marseille, au musée d'Art Moderne de Paris, au musée du Petit Palais à Genève. En 1992, le conseil régional PACA ouvre un musée en son honneur à Graveson. Des peintres lui rendent régulièrement hommage, comme Claude Viallat en 2003.
Auguste Chabaud a écrit des poèmes et des livres tels que : L'Estocade de vérité, Le Tambour Gautier, Je me suis pris pour Démosthène.
Expositions de groupe à la galerie
Claude Viallat, Luxembourg
20 juin - 20 septembre 2013


5 ŒUVRES MAJEURES

Cette exposition de cinq œuvres majeures de Chabaud est exceptionnelle car leur prêt n’est habituellement consenti qu’aux seuls musées. Il l’a été, pour notre galerie, pour notre galerie à Luxembourg, par amitié pour Claude Viallat.

Auguste Chabaud est né à Nîmes en 1882. Il est mort en 1955 à Graveson. Fils de viticulteurs, il entre à l’école des Beaux-Arts d’Avignon à l’âge de 14 ans. Il monte à Paris en 1899, étudie à l’Académie Jullian et à l’École des Beaux-Arts. Il rencontre alors Matisse et Derain. Mais contraint par la crise viticole, il doit retourner à Graveson. En 1901, il s’embarque comme pilotin, puis s’ensuit de 1903 à 1906 un service militaire, en Tunisie, qui le tient à l’écart du monde de l’art parisien, mais lui permet de faire de nombreux croquis de scènes locales, et surtout de militaires et de bars que fréquentent les filles et les marins. Libéré de ses obligations militaires, en 1907, il retourne à Paris, expose au Salon des Indépendants avec les fauves. Il vit à Montmartre où il a un atelier. A-t-il rencontré Picasso, Braque ? Comme Marquet il peint Paris, mais ses rues, ses places souvent désertes, nous en restituent une ambiance évoquant celle des images photographiques d’Atget. C’est le Paris de Baudelaire. Mais en plus âpre ! Chabaud peint surtout la vie nocturne, les bars, les restaurants, les maisons closes, les filles, un Paris moderne, un Paris de la nuit trouée par les éclats de la lumière artificielle, celle de l’éclairage public et des réclames lumineuses. C'est le Paris des hôtels de passe, de la prostitution, du cirque. L'idéal féminin est incarné dans ses œuvres d’alors par la figure d'Yvette une prostituée dont Chabaud était amoureux. Il l’a peinte avec une violence qui en distord le corps, en révèle, en une image, pour ainsi dire, tous les aspects. Sans pathos, sans sentimentalisme, Chabaud anticipe le cubisme destructeur et saccageur de Picasso. Les figures ainsi malmenées, ainsi traitées, avec une rudesse froide et clinique, sont fermement cernées de noir et s'inscrivent sur des fonds de couleurs sourdes et intenses. Dans la gamme colorée que Chabaud affectionne dominent des rouge vermillon sombres et des bleu outremer glissant, eux aussi, vers le noir. Ces couleurs criardes sont souvent rehaussées de blanc et de jaune et, parfois, d'un vert strident. Cette gamme intense et sombre, à la fois, dont l'intensité se nourrit d'une matière picturale plantureuse, est sans équivalent dans les œuvres des autres artistes qualifiés de fauves. On pourrait se hasarder à prétendre que Chabaud est en quelque sorte un « anti » Matisse à ranger aux côtés des expressionnistes allemands plutôt que dans le sillage des fauves parisiens. Il eût pu être le Beckmann français.

Vers 1911, il semble tenté par une géométrisation des formes dont témoignent des sculptures assez proches de celles de Derain. Mais advient la guerre. En 1919, démobilisé, il s’installe à Graveson. Définitivement. Il devient le peintre d’une Provence austère et rude, qu’il n’a jamais cessé de peindre, même pendant son séjour parisien. Sa palette, apparemment, s’assagit. Il simplifie les motifs et les formes de ses paysages de Provence, ses scènes de la vie villageoise, ses figures de paysans, de bergers. Il les maçonne, les pétrit de « hautes » pâtes terreuses, ocres, brunes et d’un bleu de Prusse virant vers le noir et une obscurité où, comme autrefois, dans les rouges violents qu’il affectionnait, se concentre l’énergie d’une sorte de furor. Et, dans ces œuvres, l’âme d’un terroir. Cette part négligée de son œuvre ne devrait plus l'être. Il faut aujourd'hui la revoir et la relire à partir des résurgences réalistes des années quatre-vingt du siècle dernier et à partir des réalismes noirs des années trente allemands et italiens surtout.


Quatre des œuvres exposées ici appartiennent à cette période parisienne et témoignent de la singularité d’un artiste sans équivalent alors et qui se distingue par la force expressive et la violence colorée de ses œuvres aussi bien des fauves que des cubistes.
Le Grand Nu au broc a, peut-être composé - avec trois autre figures d’Yvette, de mêmes dimensions : Grand Nu, la toilette, Grand Nu à la serviette, Grand Nu aux bottines - un impressionnant quadriptyque comparable seulement, aux grands tableaux de nus peints par Derain, Matisse, Picasso et quelques autres au début du siècle dernier.
Sans remonter jusqu’aux sources antiques et renaissantes de cette iconographie de l’Eden perdu, des nymphes se baignant dans les sources cachées sous le couvert de feuillages protecteurs, notons que ce thème, a été souvent traité à la fin du XIXe siècle par des artistes académiques et novateurs. Par Puvis de Chavannes, entre autres. Il l’est au début du XXe siècle par Matisse, Derain et bien d’autres dans le même esprit. C’est cette iconographie heureuse que casse délibérément Picasso avec Les Demoiselles d’Avignon, en 1907, en l’accommodant aux scènes de maisons closes de Toulouse-Lautrec et de Degas. Et, semble-t-il Chabaud, puisqu’il est admis, sans certitude cependant, que le quadriptyque dont fait partie Grand Nu au broc, que nous montrons, aurait été peint cette même année. À l’instar de Picasso, Chabaud dans cette œuvre se livre à une sorte de saccage des formes qui déshumanise les figures et les ravale au rang de machine sexuelle flanquées des « outils » nécessaires à leurs fonctions : broc, cuvette, bas noirs, jarretelle rouge, etc. L’intense Nu rouge condense dans la violence colorée l’impact visuel de cette machinerie sexuelle. La magnifique figure d’Yvette à la plume rouge met en exergue l’outrance du maquillage cernant des yeux vulvaires. Le regard médusant de ces figures semble comme dardé sur qui l’affronte comme pour le paralyser, l’annihiler, le soumettre. Comme Le Cocher au gibus, 1907-1908, ces œuvres sont des visions nocturnes envoûtantes. Au fantastique médiéval que les poèmes en prose d’Aloysius Bertrand mettent en scène dans des tableautins tenebrosi se substitue le réalisme inquiétant de la vie nocturne parisienne moderne, celle d’un monde interlope, en marge, un monde en clair-obscur dont la nuit est tout soudain illuminée par une lumière artificielle qui découpe brutalement les formes, les espaces, les figures et en théâtralise les fables. Cet univers est comme photographiquement figuré malgré l’outrance des traits qui dérègle les formes et dévaste les normes et la morale bienséante de l’art académique, mais aussi de celui des impressionnistes. Paradoxalement cette sauvagerie du traitement de la forme la porte à un paroxysme qui lui octroie la plénitude. La couleur est alors, comme le voulait Cézanne, haussée à son intensité. À cette intensité électrique que propagent les réclames lumineuses. Comme si, avant le pop art et l’art minimal, Chabaud plongeait dans la lumière des néons de Flavin les nudités américaines de Wesselmann.


Bernard Ceysson