Jean - Marc Cerino

Comme une brise d’accalmie

26 mai - 23 juillet 2016

Jean - Marc Cerino

Comme une brise d’accalmie

26 mai - 23 juillet 2016




  Comme une brise d’accalmie, la nouvelle exposition de Jean-Marc Cerino à la galerie Bernard Ceysson Saint-Étienne, fait suite à la rétrospective de l’artiste, Le grain des jours, présentée au Musée des beaux-arts de Dole en 2014.
Depuis plus de vingt-cinq ans, Jean-Marc Cerino développe des recherches picturales sur des supports qui sont dialectiquement fonds et milieux de passage pour des images : calques, feuilletages d’encaustique, films polyester, voile d’organza, verres. Ces mi-lieux articulent surface et profondeur, pour des représentations de passage.

Dialoguent aujourd’hui un ensemble récent de peintures à l’huile sur verre et sous verre. Pour ces dernières, l’ordre des choses est inversé : les scènes figurées ne sont pas ancrées sur un fond déjà-là, mais conduites en différé à travers le fond qui les produit, les développe, les amplifie, et tout autant les éclipse partiellement. En surface du verre sont ainsi traduites avec la plus grande justesse les représentations, et après-coup, au revers, sont travaillées les matières des fonds. Dessus et dessous interfèrent par l’intermédiaire du plan verre. Les images qui remontent des fonds sourds ou flamboyants, sont rappelées à partir de photographies ou de dessins réalisés pour la plupart par des anonymes dans la première moitié du XXe siècle, sans doute oubliés, et présentés en partage dans le flot aveuglé des données digitales. Face au flux et à la prolifération indéfinie et inépuisable d’un fond sans fond d’images en circulation, l’artiste passe des nuits à sonder, intercepter, et recueillir ces fragments d’ailleurs qui constituent son atlas, un regard partagé[1], qu’il a pu également nommer L’enfoui du monde[2]. Lors des transferts sur verre, Jean-Marc Cerino engage un contact avec ces documents. Au plus près des images-sources, il relève les écritures directes (dessins) ou indirectes (photographies), dont il foule les traces, en peinture, via le plan transparent. Découverte de tracés archéologiques, aéroport d'Heathrow, 1950, 2015, est en ce sens une œuvre exemplaire. Toutes les empreintes argentiques indicielles de ce champ de tracés ont été minutieusement fouillées en peinture dans une tout autre échelle et révélées comme un champ de signes, dans le moindre détail. Et si les ombres se donnent à voir dans un premier temps comme de purs signifiants ou taches de matière picturale, elles se produisent précisément, en excavations, reliefs, textures, figures, pour un regard qui prendra le temps de s’y déployer. Alors, les traces en surface se creusent et la représentation s’invagine, l’image s’ouvre, dans son étrangeté constitutive. Le fond bleu clair dans lequel est suspendue l’image, participe ici de cette irréalité.

Les sources que l’artiste reconvoque semblent résister à tout épuisement sémantique. Tramées d’étrangeté, ces images revenantes, belles et inquiétantes, constituent une mémoire commune complexe car féconde d’équivocité et d’imaginaire. Le vautour spectral de Figurines anciennes, 2012, de manière oxymorique, se maintient labile, comme une autorité informe tout droit sortie d’un atlas mnémosyne. Winnie la baleine échouée à San Fransisco, 1938, 2015 témoigne de l’insaisissable altérité de ce regard partagé : l’image précaire, sauvée des eaux, se fait le témoignage d’une invraisemblable scène de ballet mortifère dans laquelle le monstre marin informe, d’une densité extraordinaire, perfore le cadre de la représentation. De même, dans Ouvriers dans les carrières de marbre de carrare, 2015, la puissance sublime[3] de la compacité abstraite de la roche d’un blanc opalescent au-dessus des hommes minuscules, échappe étrangement à la densité du monde. « La valeur d’une image, nous rappelle Bachelard, se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire[4] ».
Dans chaque œuvre, l’espace intervallaire du plan verre produit un léger décalage entre fonds et représentations qui semblent flotter en suspension. Les images ne sont pas mobiles mais bien plutôt animées et elles se déplient autrement à travers l’orientation des regards qui les accompagnent et l’inclinaison lumineuse. Ce n’est alors pas un hasard si l’artiste a repris en peinture la célèbre et réversible image paradoxale du « canard-lapin ».

Les fonds des images, par transmutation, mettent à distance les représentations dont ils s’affranchissent ; travaillés dans un deuxième temps, ils ouvrent des lointains, aussi proches soient-ils. Appliquée au revers, la matière picturale peut être bombée, raclée, projetée, soufflée… elle s’épanche, se diffuse et les couleurs s’amalgament et produisent des dépaysements comme dans Essais de moteur d’avion militaire dans le col du Lautaret (14-18), 2014 où le fond d’un étrange bleu-vert irradiant transporte l’image dans un paysage lunaire qui pourrait aussi évoquer les grands fonds. Parfois les arrière-plans sont des pans de tissus hantés de traces et rapiécés, comme des peaux suturées ou encore décolorés à l’eau de javel, à l’instar de Troupe revenant, 2016, où la représentation fait face à une brusque décoloration, comme une déflagration, comme encore une chair brusquement découverte. Dans l’œuvre Cabane, 2016, la toile javellisée sous verre dialogue en profondeur avec l’image en surface ; ainsi les branchages peints se développent et rayonnent dans les traces éclaircies du tissu. Les fonds de peinture, dans leurs traitements diversifiés, évoquent non sans facétie la rhétorique picturale analytique avec laquelle l’artiste engage un vis-à-vis, voire un face-à-face, comme pourrait le signaler avec véhémence Le coup de poing, (anonyme), 2015.

Transmuées en nuées, les petites plumes déposées sur le verre dans Amas A. P002 dit des plumes, 2016, se constituent photogéniquement en un paysage stellaire après avoir cristallisé et fait rayonné mystérieusement la matière picturale autour d’elles. Cette concentration de lucioles peut-être déjà éteintes, échappe à la figuration et rappelle les exigences de distanciation de l’artiste au regard du poids des images et de la représentation du chaos dont il a choisi de s’émanciper pour cette exposition. « Et ce qui vient dès lors se superposer à la masse des décombres ou de l’anéanti soufflés par la tempête, c’est malgré tout, et sans rapport avec l’espoir ou alors aussi faiblement qu’une toute petite lueur, un autre vent, une étrange brise d’accalmie[5] ».


Anne Favier, 2016.


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[1] « L’image me touche, et ainsi touché et tiré par elle, en elle, je me mêle à elle. Pas d’image sans que je sois aussi moi-même à son image, (…) pour peu que je la regarde, c’est-à-dire pour peu que je lui prête égard. », Jean-Luc Nancy, Au fond des images, Paris, Galilée, 2003, p. 21.
[2] (Exposition d’une partie de cet atlas au Musée des beaux-arts de Dole en 2014 sous le titre : L’enfoui du monde).
[3] Sublime, sublimis, « qui va en s’élevant » ou « qui se tient en l’air ».
[4] Gaston Bachelard, L'air et les songes : essai sur l'imagination du mouvement, Introduction, Paris, Librairie José Corti, 1943, p. 6
[5]Jean-Christophe Bailly in L’effacement comme trace, catalogue de l’exposition Jean-Marc Cerino, Le grain des jours, Musée des beaux-arts de Dole, 2014.) 




Artiste de l'exposition : Jean-Marc Cerino


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
8 rue des Creuses
42000 Saint-Étienne

Horaires:
Mercredi – Samedi
14h – 18h
T: + 33 4 77 33 28 93