Lauren Luloff

22 novembre 2014 - 14 janvier 2015

Lauren Luloff

22 novembre 2014 - 14 janvier 2015




 L'exposition de Lauren Luloff à la Galerie Bernard Ceysson comprend des toiles dont les espaces, définis à la javel, se matérialisent et prennent vie en tant que représentation sensible ; ce sont des objets textiles où fusionnent des domaines personnels et naturels avec un élément indéfinissable de l'esprit. Pour réaliser ses tableaux, Luloff va chez les fripiers pour trouver des draps, de préférence ductiles et usés, chacun ayant son histoire à raconter. Le langage imagé de ses toiles part de tout ce qui lui est proche, y compris les plantes et fleurs qui poussent dans son atelier de Brooklyn, comme les géraniums, les bégonias et les aloès. Le processus de décoloration qui caractérise les œuvres de Luloff s'inspire de la technique de l'impression textile par bloc qu'elle a étudié à Gujarat, en Inde, en imitant les techniques traditionnelles consistant à couvrir le tissu de cire qui forme une couche de protection dont ressortiront les motifs après la teinture. Sans cire ni colorant, Luloff élabore des motifs semblables mais elle parvient à ce résultat en ne se servant que de draps, d'eau de javel, de colle pour tissu, de mousseline de soie et parfois de peinture. Les lambeaux de draps de différentes formes sont disposés les uns par rapport aux autres avec un soin méticuleux ; une minutie qui lui permet de mêler des couleurs naturelles à une absence de couleur. Parmi les symboles et les images qui se répètent sur ses toiles, on compte des étoiles naissantes, des mandalas avec le cœur en fleur, des plantes, des coquillages, des organismes et des vases. Certaines toiles sont destinées à être accrochées en plein air, d'une manière qui permet à la lumière de passer à travers le tissu, comme le fait si bien remarquer Luloff : « Pour moi, c'est une source d'émotion, quand la lumière passe à travers le tissu et dote la couleur d'un sens tout à fait autre. » Ce jeu avec la lumière est intensifié par l'utilisation de mousseline de soie diaphane. Quelques-unes de ces œuvres suspendues portent un sentiment alchimique, comme un arbre (un sapin du Canada ou un épicéa) dont les contours se dessinent sur une lune.
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Les derniers travaux de Luloff produisent des états particuliers évoquant le concept de mana. Dans Esquisse d'une théorie générale de la magie, Marcel Mauss explique que mana est une qualité qui se transmet, à l'instar d'une substance pouvant être « vue et entendue » et apte à habiter les objets. Il écrit : « Mana n'est pas simplement une force, un être, c'est encore une action, une qualité et un état...il peut être employé pour dire « avoir mana », « donner mana »...il est représenté comme un corps matériel. » Cela évoque la manière dont les tableaux de Luloff restent en dehors de la manifestation directe des langages spirituels, bien qu'ayant tendance à interagir avec l'univers de la métaphysique. Son inclination à laisser la surface de la toile « poreuse » à la lumière, révèle en douceur sa structure sous-jacente et permet au regard de considérer la surface comme une voie de passage. Luloff communique clairement que ses tableaux sont des espaces sur lesquels le désir peut transmettre son essence conceptuelle. Considérer la toile comme un plan sujet à mutation, c'est introduire l'élément de l'esprit, dans ce cas, ce qui est activement mélangé à la vie et à la présence de l'artiste, en tant qu'agent et sujet inextricablement liés.
!Luloff a relevé le défi d'employer la javel comme moyen d'expression. Une fois que l'eau de javel est sur le tissu, ses limites se dilatent au fur et à mesure que le liquide suit son parcours ; les couleurs s'estompent rapidement et il n'est plus possible de revenir en arrière. Luloff a médité sur la manière dont cette irrévocabilité a révélé tout son poids lors de l'élaboration des portraits de ceux qui lui sont chers, comme son mari Alexander Nolan et son amie Jenn Brehm, en faisant l'expérience de verser un récipient d'eau. Alors que les œuvres de Luloff sont sources de sensations, évoquant des états d'esprit particuliers et des humeurs diverses, paradoxalement, l'eau de javel est en quelque sorte un poison, et son application est aussi puissante et envoûtante que le venin d'araignée. Un fondu uniforme entoure chaque image, et sur nombre de ses tableaux, on peut voir une subtile et intense trainée de couleur qui enfle avec la lumière avant de disparaître dans la brume de l'arrière-plan.

Kari Adelaide 




Artiste de l'exposition : Lauren Luloff


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière