Noël Dolla, Pascal Pinaud, Philippe Ramette

26 septembre - 21 novembre 2020

Noël Dolla, Pascal Pinaud, Philippe Ramette

26 septembre - 21 novembre 2020




 

L'art de se disputer

Pascal Pinaud et Philippe Ramette se sont rencontrés à la Villa Arson quand Noël Dolla y était professeur. A l'époque où ils fréquentaient l'atelier de Dolla, la disputatio était en vigueur. Dolla en faisait sa méthode d’enseignement et de recherche et, il paraît, une technique d’examen. Depuis le temps, il n'est plus question que Dolla distribue les rôles d'opponens et respondens pour enseigner l'argumentation picturale.

Aujourd'hui, les trois artistes partagent les cimaises dans une discussion décidément triangulaire, parfaitement équilatérale. Une centaine d'œuvres foisonnent de propositions plastiques argumentant en faveur d'un modernisme radical sans dire mot. L'art plastique sera visuel ou ne sera pas. On se régale de tout ce savoir mûrement acquit et définitivement muet. Tout en restant circonscrit dans son propre champ d'investigation, chaque artiste interroge largement la tradition picturale avec la rigueur acquise par une longue pratique.

Pinaud ne questionne pas la peinture, il fait des tableaux. Dans Sans titre 2006 (tissu contrecollé sur bois, acrylique, gel médium, canevas), Deep Black Mitsubushi (laque automobile sur tôle, papier adhésif, vernis) ou Sans titre 2009 (tissu d'ameublement contrecollé sur bois, peinture pour soie, gel médium) il restitue les résultats de la peinture analytique sans s'attarder dans les démonstrations. On n'en a pas besoin, car ces œuvres sont actionnées par une sensualité d'autant plus palpable qu'elle est froide et sans affect. Ses expériences dans la série Patère sont particulièrement suaves : chaque pièce s'approprie l'espace mural sur lequel elle est suspendue et la dynamise tout en restant entièrement autonome, sans référence qui la lie au réel ou à l'expressivité. Que ce soit le support, les matériaux, Pinaud s'y connaît dans les finitions.
A première vue, son souci est pour l'excellence dans le travail : patron respectueux et respecté par ses artisans. Mais l'œuvre ne se révèle entièrement qu'à celui qui comprend ses critères internes et la manière dont elle veut être vue : c'est à dire caressée de la main désinvolte d'un dandy. Son attitude évoque Oscar Wilde dans Le déclin du mensonge : « Dès qu'une chose nous affecte en douleur ou plaisir, ou fait un pressant appel à notre sympathie, ou est une partie vitale de l'ambiance où nous vivons, elle est en dehors de la sphère propre de l'Art. »

L'éthique conceptuelle de Philippe Ramette s'exprime avec humour. C'est à la fois un instrument de combat et un bouclier. Ainsi armé, il assume sa place dans le débat pictural alors que son médium de prédilection est la photographie. Sans confiance en la raison, son travail exploite les paradoxes visuels qui mettent en cause toute notion de point de vue --de l'artiste ou du spectateur. En même temps, il déjoue tous les pièges linguistiques qui sont le fonds de commerce d'artistes comme René Magritte car son principe est de renouveler le statut de l'œuvre d'art tel qu'elle a pris place dans notre modernité. Ramette cherche la légitimité dans le subversif, la permanence esthétique dans l'éphémère. On soupçonne son attitude potache de cacher une réelle mélancolie, qui ferait elle-même écran devant de l'idéalisme ou une entreprise de sauvetage. Loin de glorifier les exploits de l'homme contemporain, il fabrique des objets qui pourraient être pris pour des fétiches à conjurer les démons libérés par l'inconséquence de nos désirs.

« Que peut-on peindre après Leonard de Vinci, Turner, Monet, Matisse, Mondrian, Manzoni et G. Richter ? » C'est Alan Dool qui a posé cette question il y a plus de vingt ans. Son alias, Noël Dolla, répond avec plusieurs séries qu'il met en jeu pour défendre la grande tradition moderniste. Les Plis et Replis redéploient, dans une expérience parfaitement formaliste, des points et des tarlatanes sur des châssis, alors qu'auparavant ce vocabulaire était dédié à des pièces suspendus et des Restructurations Spatiales. Les peintures de la série Sniper sont toutes tamponnées au verso avec la date 14 mai 2018 (jour où les tireurs d'élite israéliens tuent 56 palestiniens sans armes, lors d'une marche pour commémorer la Nakba). Pour mettre en perspective la part du politique dans l’œuvre, Dolla les a fabriqués avec des tirs de son ADWC. 45-- l'arme à déboucher les chiottes. Le défilé se complète avec la toute nouvelle Hygiène Performance, un saut périlleux dans la double contrainte du passé/présent pour écrire, selon lui, le futur de son œuvre en prenant en compte et à contre-pied l’histoire de sa peinture et celle du mouvement Supports/Surfaces. Pas besoin de retenir son souffle, Dolla atterrit sur ses pieds.

Rachel Stella, Juillet 2020
 




Artistes de l'exposition :
Noël Dolla
Pascal Pinaud
Philippe Ramette


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière