Champion Métadier

22 janvier - 01 mars 2009

Champion Métadier

22 janvier - 01 mars 2009




 La « limpidité sans faiblesse » de Champion Métadier





















La galerie Bernard Ceysson, Luxembourg, a le privilège de présenter, du 22 janvier au 1er mars 2009, outre des dessins, pastels à l’huile et shellac sur papier, un ensemble important de la série des Timetrackers de Champion Métadier montrés, en 2007, au musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice. Ces tableaux bouleversent nos habitudes visuelles par leur matérialité même, indéfinissable, lumineuse, profonde et pondérable qui impose quasiment la présence de ces valeurs tactiles qui séduisaient tant Bernard Berenson dans son approche des œuvres des peintres toscans du Quattrocento. C’est cette matérialité, façonnée par des couches soigneusement étirées, poncées, de pigments purs et d’émulsions polymères, qui charge le chromatisme soyeux, à la fois si parfaitement lisse et pourtant déjà pulvérulent, prêt à se dissoudre dans un nuage de poudres étincelantes, d’une énergie jubilatoire, jouissive, ludique pour citer le très bel essai qu’Ann Hindry a récemment consacré à la peinture de Champion Métadier.





















Elle rappelle par le titre même de cet essai cette déclaration de l’artiste pour qui peindre est « un acte de jubilation ». Et c’est bien ce que nous éprouvons en face de ces oeuvres intensément lumineuses qui installent devant notre regard leurs surfaces oblongues, plus hautes que larges. Dans leur matière que donne à voir leur plan - et non pas leur fond - d’albâtre opaque et limpide s’inscrivent, en majesté, soigneusement délinéées, - comme le sont les figures de Botticelli, de Raphaël, d’Ingres, de certains maîtres du maniérisme nordique et italien, voire, plus près de nous, de Wesselman, et pourquoi pas de Disney -, les formes improbables que construit l’imaginaire de Champion Métadier. Formes improbables, certes, car « nées de sensations diffuses, [ d’ ] impressions déjà intégrées, recyclées par le processus mnémonique ». Ces formes peuvent paraître innommables. Et elles le sont, car elles n’ont pas de référent, sinon, comme l’écrit Ann Hindry, la réalité « d’un monde enfoui, [d’] un mode archaïque de relation aux choses, [d’] un temps de vie précédant les mots ». Mais cet innommable, s’il peut évoquer Beckett, n’est en rien celui de l’abject de l’informe. Ces images ne sont pas surréalistes. Elles s’articulent à un biomorphisme qui doit résolument sa vérité en peinture, sa figuration impeccable, pourrions-nous dire, à l’imaginaire de la modernité. Ann Hindry, Catherine Millet, insistent sur l’impact des images pop et Ann Hindry sur l’expérience new-yorkaise de Champion Métadier qui partage son temps entre Paris et New York. Champion Métadier peint dans une sorte d’état infans qui porte à l’apparition sur la toile de figures parcellaires, de choses oubliées, fragments de corps et d’organes humains, de tubes, de tétons, de béances, d’outres gonflées et prompts à se vider. Une sorte de machinerie sexuelle se compose devant le regard de qui affronte ces figures qui se plient et se déplient dans l’espace selon des perspectives déconcertantes qui rabattent toujours les formes dans le plan immuable de la surface peinte. L’affirmation, très « greenbergienne » de la planéité, très justement dénommée par les américains flatbed – le lit est le lieu du jouir - a un double effet visuel. Le premier est la précision avec laquelle les formes sont serties sur le plan. Est ainsi évitée la perversion onirique des trompe-l’œil. Mais est ainsi assurée une intensité iconique qui fait de chacune de ces figures un blason lumineux et étincelant du corps délivré de tout caractère organique. Disney et Wesselman ont naguère déjà opéré ce déportement, cette transsubstantiation qui fait que les fragmentations que ce dernier opère ne peuvent en rien rappeler les figures de Bellmer ou ces maquettes colorées où se décomposent et se démontent les organes humains à des fins pédagogiques. Si j’emploie le mot transsubstantiation c’est parce que Champion Métadier délie ses figures de leur poids de chair et les « virtualise ». Ann Hindry souligne justement que de telles œuvres fonctionnent comme des écrans d’ordinateur où le fond et les figures naissent de combinaisons programmées de pixels. Elles composent donc des images virtuelles aux couleurs froides acidulées s’imposant comme des logos. Ainsi s’exalte la virtù jubilatoire de ces figurations qui laissent dans le même temps songer à un monde de microbes et d’amibes dont l’énergie latente, le dynamisme contenu, mais perceptible dans le décentrement de certaines de leurs parties, semblent devoir se propager de manière menaçante. La jouissance, que leur vue suscite et stimule, n’engrène pas une réflexion sur la vanité de toutes choses. Mais la fascination qu’elles exercent est violemment « médusante ». La putréfaction inéluctable n’est pas montrée, n’est pas dévoilée. Elle est l’innommable présence qui taraude la jouissance de l’imaginaire sexuel.





















Le second effet, c’est la nécessité précisément de ce chromatisme raffiné et froid, quasi fluorescent dans les assonances et les dissonances de ses gammes acidulées, bien soulignées par Catherine Millet qui les rapproche de celles des peintres maniéristes. Elle note justement la ressemblance des figures de Champion Métadier avec certaines formes que ces colorations acides dessinent « adhérant à certains dos et bras musclés dans les peintures du XVIe siècle ». Elle rappelle encore, en citant Walter Friedlander, que Champion Métadier, comme les maniéristes, Pontormo et Rosso surtout, construit ses figures par une succession de plans donnant l’impression de la profondeur sans creuser l’espace. Comme parviennent à le faire ceux qui s’adonnent aux plaisirs de l’origami. Comme Picasso le réussit, à l’instar des maniéristes, avec une jubilation destructive, dans certaines de ses peintures post-cubistes.





















Les jeux stylistiques des maniéristes étirent les corps, leurs infligent des élongations « idéalisantes », des torsions et des distorsions qui les disloquent dans l’espace. Ils en multiplient les « vues » et les décomposent. Ils en redistribuent les parties en fragments dont le regard peut jouir. D’où cette exaltation d’une beauté glacée qu’on peut toucher - que l’on croit pouvoir toucher tant sont exacerbées les « valeurs tactiles » de la matérialité des œuvres - sans la toucher. Seul l’Éros froid imaginé par le maniérisme a la capacité de célébrer la chasteté et de lier l’amour charnel à la vie supérieure de l’esprit. Diane est la divinité voluptueuse et méprisante, parfaite et inaccessible, la Vénus chaste et chasseresse, de cet érotisme sublimé. Sa célébration en peinture exige l’affirmation de la maniera, c’est-à-dire du pouvoir du style qui doit atteindre « une limpidité sans faiblesse » pour reprendre la formule par laquelle André Chastel caractérise «  le grand ouvrage qu’est La Diane au cerf d’Anet ». C’est cette « limpidité sans faiblesse » qu’accomplit Champion Métadier dans la jubilation de peindre. Son style est unique. Et donc irremplaçable !





















André Chastel, La Crise de la Renaissance 1520-1620, Genève, 1968.










Ann Hindry, « La jubilation d’Isabelle Champion Métadier » pp. 50-53, in Art Press, n° 349, octobre 2008, Paris.










Catherine Millet, « Champion Métadier en chasse d’images » in Champion Métadier, catalogue de l’exposition, galerie du musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice, éd. Gallimard, Paris 2007.










 




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