Pierre Buraglio

...le maintenant avec un jadis et un lendemain...

14 janvier - 25 mars 2017

Pierre Buraglio

...le maintenant avec un jadis et un lendemain...

14 janvier - 25 mars 2017




 Faire avec ; jouer avec le temps ; la même chose autrement – autrement la même chose. Pierre Buraglio aime les maximes, les apophtegmes. Ils proviennent de la pratique et ils indiquent une manière de comprendre au plus juste les opérations dont résultent les œuvres. Une exposition rassemble des œuvres selon un principe qui peut lui aussi trouver sa maxime ; le titre sert naturellement à cela : « le maintenant avec un jadis et un demain ». Sont montrés, dans l’exposition luxembourgeoise, des fenêtres, des montages, assemblages et imprimés s’étendant de 1978 à 2016. Choses nouvelles et choses anciennes. Des Metro della Robia, des Masquages vides, Pericoloso sporgersi, Esper Lucat - Warden’s Band - Stalag VIIA… Ces différentes œuvres appartiennent à ce que l’on pourrait commodément désigner comme des périodes, sinon des familles, ou des groupes d’œuvres, que l’on peut aisément rassembler et associer. Mettre ensemble : non pas pour faire ce qui ressemblerait, en raccourci, en très concentré, à une rétrospective, mais pour faire sentir une sorte de méditation pratique, faite de gestes, d’assemblages, de montages, qui vient ruser avec le temps. Foucault a saisi, dans une page pénétrante, ce qui caractérise la méditation, chez Descartes, mais sans doute de manière plus générale : elle est faite d’un cheminement, dans un ordre qui la conditionne, l’aspire et dont elle s’écarte en permanence. Introspection donc, mais dans un sens bien particulier, qui est de rassembler ce qui est disjoint, pour continuer à produire, dans un écart perpétuel. « Relevé d’identité du disparate sur des faits patents ! » - je relève la phrase, parmi quelques fragments d’écriture de P.B. Un jadis et un demain.

Les titres, chez Buraglio, ont un statut bien particulier, comme une maxime en raccourci, participant de l’économie de son travail. Réutiliser, faire peu. On en fait 10 parce qu’on a un matériau pour 10. La maxime est une forme courte d’écriture ; encore plus ramassé, elliptique, le titre appartient à deux mondes : il est pris dans les œuvres qu’il désigne et il relève de l’écriture, laquelle chez Pierre Buraglio peut également s’échapper, zigzaguer, se placer à distance. « Mes titres m’explique-t-il, sont en rupture avec le silence, le retrait de la peinture dans laquelle je m’origine ». Ils peuvent masquer un autre titre évident, plus littéral, dont il faut s’écarter. « Le titre induit du vécu », ajoute-t-il. Pericoloso sporgersi, ou le monde vu depuis un train. Stalag VII A, ou l’histoire du père. Les titres peuvent s’emboîter, comme des formes, des pièces, que l’on décide d’assembler. Le titre peut évoquer les morts et même en faire parler certains : c’est alors une prosopopée, comme celle qu’adresse P.B. à Nicolas de Staël. « A voir s’il faut maintenir proposopée, mais c’est cela. Cela lui est adressé. Il y a des accords très durs chez lui. C’est ce que je voulais faire ».

Qu’il s’agisse des œuvres, de leurs titres, de l’écriture, il y a un régime commun, qui relève d’une véritable économie où tous les registres se tiennent. Les meilleurs rendements, qui n’ont rien à voir avec l’expansion indéfinie des biens, des choses, de l’activité, reviennent à une production mesurée et concentrée. La vie elle-même peut se plier à cette ascèse qui n’a d’autre finalité que de prolonger le plus longtemps possible la jouissance. P.B. me l’a expliqué un jour : l’équilibre des entrées et des sorties. Autre maxime. Cela vaut pour l’œuvre, naturellement, mais aussi pour l’existence, qui doit être soumise à une diététique. J’ai pensé immédiatement à des passages du Journal de Delacroix, comme les premières lignes de l’année 1823, où Delacroix s’inquiète de ses désordres, les dépenses et l’emploi du temps. « Régler ma vie habituelle », écrit-il, avant de faire l’inventaire des œuvres admirées qu’il souhaite copier et interpréter. « Se coucher de très bonne heure et se lever de même » : cette sentence précède des mots d’amour énigmatiques, adressés à une femme : « J’ai cru vous revoir impunément. J’avais espéré que vous me recevriez froidement. Vous ne l’avez pas fait, par bonté ». La discipline est sans cesse débordée par le désir, qu’elle finit par accepter, sous la condition de pouvoir le prolonger indéfiniment.

François-René Martin, Maison-Alfort, Lyon, décembre 2016.
Professeur à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et à l'École du Louvre. 




Artiste de l'exposition : Pierre Buraglio


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Ceysson & Bénétière