Bernard Pagès

19 mars - 09 mai 2020

Bernard Pagès

19 mars - 09 mai 2020




 

 En 1972 Bernard Pagès invente un « tableau d'énumération des possibilités d’assemblage », un classement tenant compte de tous les assemblages dont deux morceaux de bois de même taille peuvent faire l’objet et évoquant aussi bien une base de données générée à l’ordinateur que les taxonomies du XVIIIe siècle, puisqu’il catalogue les diversités infinies des formes naturelles. Élaboré au départ pour conserver une trace de la portée croissante de ses innovations, ce dessin à l’encre sur papier devient bientôt la base de ce qu’il appellera son « projet utopique ». L’impulsion utopique qui réside à la base de la nomenclature non seulement classe chaque assemblage qu’une série d’éléments sculpturaux peut devenir, mais exige aussi que chaque loi sur l’ordre qu’elle expose, soit mise en pratique (1). Tout ce qui peut être, doit être.


La nomenclature de Pagès est créée après 1968, une époque à laquelle les utopies étaient à l’ordre du jour. La richesse et la portée des « solutions » proposées par le schéma étaient associées à une économie extrême des matériaux : des morceaux de bois peu travaillés et des chambres à air recyclées par exemple, ou dans ses premiers « assemblages », du gravier, des grillages en métal, des briques, du sable, des tronçons de tubes flexibles. Ces matériaux n’évoquaient ni l’excès ni le gaspillage de la société de consommation, mais l’austérité de l’enfance de l’artiste dans la campagne française pendant l’occupation allemande. L’heure était au sacrifice, mais pas à l’isolement ni à la privation. C’était « une existence particulière faite de beaucoup d’entraide », une vie sans argent, une vie d’échanges, un univers sur lequel régnaient l’autosubsistance et la solidarité. C’est dans cette utopie austère et non plausible que Pagès puise ; une utopie qu’il ravive au cours de sa première décennie consacrée à la sculpture.
Les arrangements de Pagès évoquent les sculptures d’artistes américains comme Carl Andre et Richard Serra, leur disposition principalement horizontale et au sol, et leur refus d’en lier les éléments les uns aux autres par des soudures, des boulons, de la colle, etc... Les assemblages ont déclenché cette idée dans son esprit, faisant naître en lui d’innombrables possibilités d'union entre des unités équivalentes, telles deux morceaux de bois dont les sculptures ont été composées. Ici, il fait ressortir ce que ses pairs américains rejettent avec force : le tissu conjonctif qui lie et relie. Une grande attention aux modes de connexion fait dialoguer ses œuvres avec les sculptrices du post-minimalisme, comme Jackie Winsor. Ici aussi, l’impulsion utopique est à l'œuvre : dans l’élaboration des liens qui prédominent entre egaux.



(1)

« J’ai donc mis en place un dispositif pour couvrir l’ensemble des solutions avec le projet utopique de toutes les réaliser », Bernard Pagès, Papiers, Antibes, 2015, p. 30.




Jason E. Smith, 2020
 




Artiste de l'exposition : Bernard Pagès


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