André-Pierre Arnal

Oeuvres 1964-2020

12 décembre 2020 - 30 janvier 2021

André-Pierre Arnal

Oeuvres 1964-2020

12 décembre 2020 - 30 janvier 2021




 

André-Pierre Arnal ouvre les yeux, depuis l’enfance, sur le théâtre du monde. Peut-être la découverte très jeune des forces qui s’y exercent, visibles ou invisibles, dans la couleur des ciels du sud et le noir des nuits sans sommeil, tout dans ce parcours d’une vie dira cette théâtralité peinte, celle de l’écriture poétique, lyrisme sec assumé, de la peinture dans son questionnement même, les différentes opérations plastiques, plier, déplier, arracher, déchirer. Une théâtralité musicale aussi, pour ceux qui entendront le bruit silencieux des plaques tectoniques et le souffle chamanique, le langage criant de la couleur et le chant déposé au pigment sur les parois de Lascaux. Un parcours assez long aujourd’hui pour qu’y apparaissent les développements picturaux, des « variations de Bach » disait à ce propos Gérard-Gorges Lemaire, depuis le pliage enfantin des cocottes en papier, les premiers Monotypes des années 60, les séries de pliages sur toile qui le rapprochent du groupe Supports/Surfaces dans les années 70, jusqu’aux arrachements, froissages, assemblages et tout ce que la polychromie offre de détours sinueux et sauvages dans ses travaux d’après les années 80, ses recherches sur différents supports, de l’ardoise d’écolier à la carte géographique et les possibilités illimitées du papier dans ses travaux récents. Il faut l’avoir rencontré dans son atelier pour comprendre ce qu’il dit de ce parcours : « tout ce que j’ai peint m’étonne, je regarde l’inventaire progressif d’un univers confus et pourtant très proche de moi : ce vaste chaos mouvant dont je suis le locataire temporaire », cet atelier où la lumière se pose sur une succession de strates de vie, au milieu des masques africains et des livres, un ensemble de phrases écrites ou peintes qui m’ont toujours paru être des phrases d’insolence tues. Car c’est bien le corps qui s’exprime dans ce dialogue avec le support qu’il manie, plie et froisse, ces papiers qu’il déchire colle et superpose, un agir qui s’exprime avec assez d’humilité pour ne pas croire que le matériau pourrait être soumis puisqu’il reste voué au hasard des arrachements, ouvert à la surprise. Le peintre permet simplement que cela s’organise, il est le metteur en scène d’un processus quasi rituel, quasi chamanique, qui permet que se libèrent des énergies et des courants silencieux de perception. Alors les couleurs, dans le protocole mis en place, se mêlent et créent une forme qui interroge le regard et l’inconscient, jouent avec la peau de la matière de façon aléatoire, avec ses surfaces empesées et rigides et celles plus allégées par les dilutions et les imprégnations qui ont utilisé la porosité et la perméabilité pour se libérer en coulures, en glacis presque liquides qui jouent avec la transparence. Mais il y a, dans ce trop-plein de formes et de couleurs de ses travaux récents, la même présence d’un vide et d’un langage silencieux que l’on découvre dans ses travaux des années 70, avec ces zones non peintes où ne subsistent que les marques carrées du pliage, comme des présences vides qui accentuent la matérialité du support. Ces mêmes traces de plis qui ont traversé l’histoire de l’art : elles sont sur la nappe de la Cène de Léonard de Vinci, sur le dais qui enveloppe la Madona del Parto de Piero della Francesca et le tablier de la mère d’Hantaï qu’il ne cessera de rechercher dans sa série des Tabula. Des plis qui convoquent le regard à une troisième dimension, quand sur le mur les toiles se « conforment au rite de l’accrochage pariétal » comme le dit Christian Prigent dans un texte de 1976 et deviennent alors leur propre paroi. Ce dialogue permanent entre le vide et le plein montre tous les états possibles de la peinture, comme ceux de l’écriture, on connait l’admiration d’Arnal pour Blanchot, et devant chaque toile vide ou chaque feuille de papier il sait la lutte à venir entre le virginal et le maculé. C’est le grand combat de son parcours, travail de pliage et de froissage lié à celui de la couleur, puis avec le dépliage et le dévoilement, la possibilité des vides. Oui, Arnal plie la toile sur le sol, la replie encore, y dépose de la couleur sur des pans dans une vision fragmentaire, une respiration de la terre, une musique jouée sans partition, pour lui un travail en aveugle au sens où rien ne se devine encore de l’ensemble, avant l’épiphanie du dépliage ou de l’arrachage et l’éblouissement sur le mur. Alors la couleur devient orage. La lumière vient. Une forme de violence prophétique qui remonte dans les plis de l’enfance au temps où Dieu parlait par la bouche de son père. Dans l’atelier les piles de toiles sont là, pliées et empilées derrière un rideau, mais tout gronde. Tout est prêt à recommencer. La théâtralité n’est pas loin.

Bernard Collet
17.11.20
 




Artiste de l'exposition : André-Pierre Arnal


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