André-Pierre Arnal — Œuvres sur papier

Les origines (1960-1965)

12 janvier - 11 février 2023

André-Pierre Arnal — Œuvres sur papier

Les origines (1960-1965)

12 janvier - 11 février 2023




 

On regarde cette série d’œuvres sur papier réalisées par André-Pierre Arnal dans les années 60, cet ensemble de traces, de cicatrices et de balafres dans le rapport parfois violent avec la matière même du papier, ces signes énigmatiques, ces lignes indéfinies, ces formes et ces taches d’où aucune figuration ne se révèle, ou même ces chiffres peints dont on perçoit la soudaine étrangeté. 

On se dit qu’Arnal est de cette génération de peintres « qui commencent par des signes auxquels il ne reste plus qu’à trouver un sens, alors que les générations antérieures commençaient par le sens et lui trouvaient des signes ».On ne s’étonnera pas de trouver là les mots de Jean Paulhan dans L’art informel, quand on se souvient qu’en 1967, alors qu’il est étudiant à l’université de Montpellier, Arnal rédige un mémoire qui analyse les textes de Paulhan consacrés à l’art du XX° siècle. 

Que doivent ces œuvres sur papier de ces années-là à Jean Paulhan, aux lectures de textes tels que Braque le patron (1946) ou Fautrier l’enragé (1962) ? Presque tout, serait-on tenté de dire, quand devaient résonner en lui des phrases comme celle-ci : « chez Fautrier la peinture est sous-tendue par autre chose, quelque chose comme une indignation ou tout au moins une émotion d’ordre métaphysique ou quasi métaphysique », quand il comprenait, lisant Paulhan à propos de Fautrier, l’importance de la matière qui permet de maintenir l’essentiel, néglige l’éloquence et la rhétorique, annule toute tentative d’explication, mais installe une atmosphère violente : « je ne connais pas de peintre aussi furieux, écrivait Paulhan à Jouhandeau, près de lui Corot et Bonnard sont des pêcheurs à la ligne, de petits retraités dans leur jardin ». 


Comment comprendre alors ces lacérations, ces scarifications nerveuses, ces traits griffés d’Arnal dans la surface du papier des monotypes de 1964 et 1965 si ce n’est dans l’expression de cette fureur à dire ? Quelque chose se met en place dans l’impossibilité de trouver des mots et Arnal questionne alors la peinture en interrogeant aussi ce qui se joue en lui-même, le rapport à l’intime et à l’inconscient. Il doit rechercher des formes, puisque les mots sont englués de silence, des formes qui auraient cette particularité de ne signifier rien, d’être les plus neutres et les moins signifiantes possibles, un degré zéro de la forme, on pense bien sûr à ce qui se jouait aussi ces années-là dans le travail de Claude Viallat. Les signes-traces de peinture viendront à la toute fin des années 60 remplacer ces griffures et cet entrelacs de traits nerveux mais garderont le lyrisme sec et essoré d’une abstraction qui tente le renouvellement.


On regarde ces œuvres sur papier, très inscrites dans leur époque, on pense bien sûr au groupe des informels dans l’abstraction gestuelle de l’après-guerre, à Paul Klee dont Arnal revendique l’influence ou à Camille Bryen, mais elles annoncent surtout, et de façon inaugurale, tout ce qui viendra dans l’univers pictural du peintre, le jeu avec le support de la peinture, les empreintes, les ficelages, les pliages et les déchirures, les arrachements et la grande importance de la couleur. On les regarde et on entend leur parole silencieuse, comme prophétique, celle d’un Maurice Blanchot, qu’Arnal a beaucoup lu, qui écrit dans La Bête de Lascaux : « dans l’écriture comme dans la peinture, c’est le silence, silence majestueux, mutisme en lui-même inhumain, qui fait passer dans l’art le frisson des forces sacrées ». Une parole de silence qui laisse entendre ce que l’on porte en soi, depuis l’enfance, un silence-cri, « l’augural de la première enfance » dont parle Blanchot, celui du jeune André-Pierre devant son père qui rentre de ses missions d’évangélisation, une puissance qui le fait trembler puisque Dieu parle par sa bouche. Avec la peinture donc, ces années-là, il se défait des plis de l’enfance comme on déplie des cocottes en papier, retrouve le rite et le sacré, l’effusion chamanique, l’entrée dans la magie et le mystère. Ce qui vient là c’est l’intuition d’un langage possible par le biais de ces formes, ces signes et ces traces, ces méandres de la couleur et la sinuosité des gestes de peinture sur le support sensuel, et toujours un peu mystérieux, du papier.


Bernard Collet

Décembre 2022

 




Artiste de l'exposition : André-Pierre Arnal


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
21 rue Longue
69001 Lyon

Horaires:
Mardi – Samedi
11h – 18h
T: +33 4 27 02 55 20