Frank Stella

Salmon rivers of the Maritime Provinces

05 mars - 07 mai 2022

Frank Stella

Salmon rivers of the Maritime Provinces

05 mars - 07 mai 2022




 

Frank Stella, Salmon rivers of the Maritime Provincies


Extraits d’un plus long texte consacré à cette série en vue d’une publication...



Cette exposition déploie une toute récente série d’œuvres réalisée en 2020. Elles rebattent les cartes de l’œuvre de Frank Stella tout en assurant la continuité des intentionnalités que l’artiste met en œuvre avec une rare détermination depuis la fin des années 1950. Les résonances d’une modernité plus féconde qu’on ne l’a dit et cru y sont repensées, renouvelées, réinventées...


Frank Stella, depuis belle lurette, ne peint plus des bandes, mais il persévère à vouloir toujours rivaliser avec les maîtres anciens. Il veut toujours être Vélasquez. Et l’émulateur de Caravage ! C’est pourquoi, d’une certaine manière, il peint toujours des bandes. Je veux dire qu’il veut, toujours, être, en son temps, avec les moyens de son temps et, comme le fit Picasso, avec ses moyens à lui, apporter, à son tour, sa « solution » aux déceptions provoquées par l’épuisement de l’abstraction patinant dans la crasse des habitudes et des suffisances. C’est pourquoi il lui faut sans cesse renouveler, inventer. Et à cette fin, rompre avec ce qui s’attarde, s’anémie, se sclérose y compris dans son propre espace de travail...


Frank Stella a bien été l’inventeur, en peinture, d’un art minimal et de ce type de tableaux que l’on nomme hard edge. Il en a fourni le paradigme et sans l’abandonner, le délaisser, il s’est bien gardé d’une abusive redondance vidée de toute substantifique moelle. Les œuvres exposées ici en attestent. Mais on ne peut plus résumer l’art de Frank Stella par sa superbe et impériale déclaration : « Ce que vous voyez est ce que vous voyez »...


Les œuvres de la série Salmon rivers of the Maritime Provincies se présentent suspendues, dans des présentoirs surprenants, comme achevant cette sortie présagée des formes hors du périmètre du tableau et du mur où il prend appui ou s’accroche tout en nous rendant sensibles une indispensable relation à une paroi support. Mais la forte présence de Monel Star, produite en 2017, laisse présager que ces œuvres déjà en lévitation, libérées de la spatialité construite par leur support, posées au sol, ne pourraient qu’imposer leur matérialité comme contenu d’un devenir : celui d’une architecture extensive postulant l’avènement d’une nouvelle géométrie transgressant la normativité euclidienne encore exposée dans l’espace de l’abstraction post-cubiste...


Chacune des variantes, au nombre de neuf, de cette « série » porte le nom d’un lieu-dit, d’une rivière ou d’un lac de la Gaspésie, cette région du Québec, terre des Algonquins, des Micmacs puis des Acadiens. Ce sont de ces nations et peuples que proviennent les savoureuses titraisons – je vole ce vocable à Jean Dubuffet – évocatrices, désormais, de rivières, de lacs, de lieux de pêche sportive très prisés des adeptes de cette activité : la Grande Cascapédia, la Bonaventure, le Miramichi, la Restigouche, l’Upsalquitch, la Kedgwick, les Caïns. C’est en rappel de son séjour dans le New Brunswick que Stella les a titrées ainsi et en souvenance, peut-être, de journées de pêche avec son père, dont fait souvenance le portfolio de lithographies Hudson River Valley...


Leurs dispositifs de suspension fonctionnent donc un peu comme des établis, ce qui met en exergue et les formes et les matérialités – dont les coloris - de pièces que ces dispositifs situent dans un espace indéfinissable distordant les dispositifs de l’espace euclidien et albertien. Ils les déconstruisent et les plongent dans l’abysse profond. On devine ici que Stella, à l’exemple de ce qu’a su faire Caravage avec l’art des Toscans et des Vénitiens, avec son exaltation de la surface picturale, de la picturalité, par la volumétrie exubérante d’œuvres inclassables, a lesté de plomb et plongé dans un oubli abyssal, en accord avec la proposition ébauchée par Barnett Newman dans Euclidean Abyss (1946-1947), les concepts vieillis de la modernité


Affirmant donc leur spatialité picturale, ces œuvres exhibent plus fortement leur autonomie et ce qui les dissocie de tout étiquetage catégoriel : Peintures ? Non ! Sculptures ? Non, mais ?


Leur surface, leur « peau », comme lissée par la brillance de leur polychromie qu’il est malvenu de dire « pop » renforce cette comparaison. Elle évoque non pas seulement les coloris légers, vibrants, d’Annibal Carrache, de Tiepolo, d’Andrea Pozzo et ses ascensionnelles et tourbillonnantes nuées à la suavité cotonneuse des « barbes à papa », mais bien davantage la polychromie, parfois écaillée, éraflée, des tôles de carrosseries d’automobiles, froissées, compactées, soigneusement choisies et brutalement compressées par Chamberlain.


Ce que nous signifie Frank Stella c’est qu’à l’instar de Cézanne faisant de la grande peinture, du grand art pour les musées, en peinant à peindre des paysages et des natures mortes, des œuvres relevant de genres mineurs, lui, Frank Stella, avec ce que l’on pourrait décrire comme des natures mortes, les pièces des Salmon rivers, relance la ligne d’une peinture atteignant enfin sa réalité, sa réalité picturale, parce qu’en anéantissant périmètre et surface, elle accomplit « son propre destin »...


Quant à ce chef-d’œuvre qu’est Monel Star (2017), qu’en dire ? D’abord que cette monumentale étoile sans pareille est faite de profilés fraisés de ce nouveau métal qu’est le Monel un alliage à base de nickel d’une grande résistance y compris aux plus redoutables risques de corrosion et convenant parfaitement aux exigences de l’aérospatiale. Et, ensuite, qu’elle illustre ce que l’exposition signifie : « « À partir du moment où elle crée un espace qui lui est propre, la peinture se libère de l’architecture et entre en compétition directe avec elle pour le contrôle de la profondeur disponible. » Et qu’elle retourne d’un magistral frappé à Frank Stella son célèbre apophtegme : « Ce que vous voyez est bien ce que vous voyez. »



Bernard Ceysson

 




Artiste de l'exposition : Frank Stella


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière