Bernar Venet

Gravité

30 septembre - 18 novembre 2023

Bernar Venet

Gravité

30 septembre - 18 novembre 2023




 

Notes sur les Effondrements d’Arcs

par Bernar Venet


Les Arcs s’inscrivent dans la suite logique d’un travail basé sur le thème de la ligne que je développe depuis 1976.


Déjà en 1966, parmi mes premières œuvres dites conceptuelles réalisées sur toile ou sur papier, certaines avaient pour sujet des fonctions représentées par des arcs. C’est le cas notamment d’un tableau qui se trouve dans les collections du Musée national d’art moderne et qui s’intitule Représentation graphique de la fonction y=x2/4.


Les arcs peints sur toile en 1976, ainsi que le relief en bois Position de trois Arcs de 243,5° chacun de 1979 sont d’autres exemples de travaux composés d’arcs.


Plus récemment, lorsque j’ai entrepris de voir comment je pouvais utiliser les arcs dans la sculpture, j’ai pu réaliser des travaux nouveaux en prenant des libertés formelles apparentées le plus souvent à la notion de désordre et d’effondrement.


Les arcs abandonnés sur le sol, entassés de manière chaotique, rappellent les Combinaisons aléatoires de lignes indéterminées. Elles font penser aussi au Tas de charbon de 1963, dans ses principes les plus élémentaires.


Les arcs peuvent aussi être appuyés contre un mur, par groupes dont la quantité varie suivant l’espace disponible pour l’installation. De longueurs et de sections carrées inégales, ils sont parfois soudés entre eux ou posés les uns contre les autres.


A l’instar de mes autres travaux, ces installations obéissent au principe selon lequel “le matériau n’est pas utilisé pour créer des formes... Il est la forme même”.

Je ne fais jamais d’esquisses préparatoires pour ces sculptures que j’improvise chaque fois. Mon travail prend tout son sens au moment même où le geste de déposer les arcs, de les installer, rend la forme concrète.


L’essentiel de mon activité de sculpteur se situe dans l’expérimentation continuelle des moyens disponibles, dans la mise en situation de ces arcs d’acier bruts qui n’ont pas été transformés, en agissant avec eux dans une parfaite cohérence.



“L’INCERTITUDE COMME HYPOTHESE DE TRAVAIL”


Certaines œuvres rassemblent une trentaine d’arcs. Ils sont empilés les uns sur les autres de manière relativement instables, à la limite du déséquilibre.


C'est alors que j'interviens avec un chariot élévateur et je provoque, en m’y prenant à plusieurs reprises, la chute de la majorité d’entre eux. Cet effondrement que je provoque crée un tas désordonné, éparpillé et, quelque fois encore, instable.


C’est ce résultat final qui m’intéresse, un produit du hasard qui laisse apparents les composants de la sculpture, c’est-à-dire des barres au sol à la fois entassées et dispersées de manière aléatoire par l’effet logique et concret de la gravité - résultat d’une action, d’un évènement passé.


Dans ces œuvres où la chute des arcs est l’agent constitutif primordial, la relation entre l’action et le résultat est évidente. L’unité est parfaite entre la fin et les moyens. La sculpture devient un fait de l’expérience.


Après en avoir posé les conditions préalables, ces travaux échappent à mon contrôle. Sous l’effet d’une contrainte extérieure, les mouvements désordonnés des arcs, en déclenchant des rencontres aléatoires, produisent une nouvelle organisation, une dispersion imprévue.

Je détiens, il est vrai, un pouvoir réel sur le choix et la mise en place des Arcs, mais mon détachement est total en ce qui concerne le résultat final de la chute qu’il m’est impossible de prévoir.


En tirant les arcs avec le chariot élévateur, ceux-ci entrainent comme dans un engrenage une suite de réactions imprévues, toujours différentes et obéissant au principe d’incertitude.


On obtient, dans un système d’interactions de forces, une configuration originale qui varie dans des possibilités illimitées, inquantifiables. L’effondrement consiste à défaire, à “déconstituer” ce que j’ai intuitivement et préalablement constitué.


C’est un mouvement vers l’immobilité, l’état de repos : un nouvel état d’équilibre imprévu, chaotique, logique parce qu’obéissant aux lois naturelles des forces et des masses en mouvement.


Avec ces sculptures, je cherche à réaliser la meilleure adéquation possible entre un vocabulaire formel, sobre, élémentaire et les principes structurels qui le mettent en œuvre.



POURQUOI LE TITRE “EFFONDREMENT” ?


L’effondrement se définit comme une perturbation, une rencontre entre un phénomène organisé et un évènement. Le tout créant de l’imprévisible. Il en est de même pour le concept de “catastrophe” qui a également pour conséquence une désintégration. 


Ces deux termes “effondrement” et “catastrophe” ne sont pas négatifs, ils n’impliquent pas de “destruction”, au contraire. Certes il y a désintégration, mais il y a genèse aussi : une cascade d’évènements qui concourent à la formation de quelque chose d’autre. L’effondrement dont nous sommes les témoins lorsque les arcs tombent, est un effondrement occasionnel qui contribue à faire comprendre que la nouvelle organisation des arcs s’édifie dans et par le déséquilibre et l’instabilité.


Ce travail ne cherche pas à s’opposer aux autres systèmes de composition. Il ne cherche pas à exclure ; au contraire, il inclut comme hypothèses d’expériences possibles les idées de désordre et surtout d’inattendu. Il l’inclue même, de façon disons génésique, puisque la désintégration de l’ancienne forme est le processus constitutif et imprévisible de la nouvelle forme.


L’idée d’“effondrement” s’identifie à l’ensemble du processus de métamorphose, de transformation “désintégratrice” et, par là même, puisque c’est le but : créatrice.


Je tente ici de pousser vers ses extrêmes limites ce que j’avais déjà ébauché avec mes Combinaisons aléatoires de lignes indéterminées, ainsi que le Tas de charbon de 1963.


Je propose encore une fois l’éphémère comme paramètres possible dans une œuvre qui sera chaque fois recrée, en insistant sur son caractère provisoire et transitoire. Je fais enfin intervenir le principe d’incertitude. Mon objectif est, comme je l’ai déjà formulé auparavant, à propos des œuvres que j’ai réalisées antérieurement, de libérer la sculpture des contraintes de la composition et critiquer le principe utopique d’un ordre idéal.


Ces travaux composés d’arcs (liés à la géométrie) présentés sur le sol de manière désordonnées, (chaotiques), sont en ce qui me concerne, les meilleurs exemples d’un engagement qui consiste à développer un système ouvert où l’on cesse de voir les choses compartimentées, découpées, avec des frontières hermétiques et où je propose des interrelations.


Avec une grande sobriété de moyens, c’est ma manière de réagir brutalement à l’académisme du carré, du cube ou du monochrome, cet héritage que nous ont légué Malevitch ou Mondrian et qui s’essouffle paresseusement dans sa énième variation, dans sa croyance aveugle en un ordre idéal.


Je souhaite proposer un domaine du non-proportionnel, du non construit, du non préétabli. Un domaine où les paramètres sont différents pour créer l’imprévisible et l’inattendu.


Prendre des arcs en acier, provoquer leur chute comme un jeu de Mikado dans un amoncellement instable, c’est faire coexister le déterminé et l’indéterminé, ainsi que les principes d’ordre et de désordre qui sont en même temps complémentaires et antagonistes.


Mon but est de réunir ces deux notions opposées dans un processus organisateur qui permet des hypothèses nouvelles. Je ne dis pas qu’il faut passer aveuglement d’une forme d’art ordonnée, simple, logique, à une forme désordonnée, complexe et incertaine. Ce travail propose plutôt de fouiller les possibilités, non dans l’alternative et l’exclusion, mais plutôt dans l’interrelation des idées d’ordre et de désordre.



Bernar Venet


 




Artiste de l'exposition : Bernar Venet


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Ceysson & Bénétière