Ceysson & Bénétière

 

ANARCHIE DE L'IMAGINATION

Je suis fascinée par la force et l'univers artistique de Jean-Luc Verna depuis le début des années 1990. On peut difficilement rester indifférent au défilé de personnages et d'images métaphoriques de ces œuvres inspirées par la musique punk et new wave, mais aussi le cinéma, la pop culture, le théâtre, la mythologie et le mysticisme. L’univers visuel « méta-mystique » de Jean-Luc Verna donne l’impression d’images extraites de films. Observer ses dessins, c'est jouer à décoder les doubles sens secrets qu’ils renferment -parfois très simples au premier abord, mais contenant toujours une note plus profonde, originale et cachée. L'imagination du spectateur est invitée à entrer en dialogue avec ces œuvres pour créer à chaque fois de nouveaux récits en mutation. 

Outre son incroyable maîtrise du dessin, Jean Luc Verna est un artiste multidisciplinaire accompli connu pour ses performances – dans le cadre de collaborations diverses, de chorégraphies et d’installations-, raison pour laquelle il aime se définir comme "polydisciplinaire". 

En puisant l'imagerie de ses dessins dans le style gothique, la culture populaire, l’anthropologie et les artefacts culturels, l’artiste explore les multiples facettes de nos pulsions primaires en convoquant des éléments issus à la fois de la culture d’élite et de masse. Ce que le dessin permet à Verna, c’est une plus grande liberté pour expérimenter et prendre des risques créatifs. Il utilise également souvent le tatouage comme support de captation et de transfiguration de ses idées.

 

Verna considère son corps comme une toile et un lieu d'exploration artistique. Il l’a donc souvent utilisé comme support de ses œuvres, brouillant les frontières entre la vie au sens littéral (par opposition à la vie au sens expérientiel) et l'art. Son corps est ainsi devenu une sculpture vivante, couverte de tatouages complexes et symboliques porteur d’une signification à la fois personnelle et artistique. En incorporant le langage visuel du tatouage dans son vocabulaire artistique global, Verna a créé une continuité thématique à travers la diversité de ses œuvres. En usant du tatouage comme moyen d'incarner et d'exprimer son identité telle qu’il la conçoit, l’artiste questionne dans son apparence même les normes de beauté et de genre. En ses propres termes : « Moi, une vieille drag maquillée, ayant ouvert la voie, j’ai bien senti qu’avant d’être homosexuel, j'étais d’abord un homme, et qu’avant d'être un homme, j'étais d’abord un artiste. Je n'étais pas fier d'être homosexuel : je n'ai pas choisi d'être ainsi, tout comme je n'ai pas choisi d'être blanc. »  

 

Il m’a semblé approprié d’intituler ce texte « Anarchie de l'imagination », une idée tirée du livre éponyme – un recueil d’entretiens, de notes et d’essais de Rainer Werner Fassbinder, l’enfant terrible du Nouveau Cinéma Allemand. Les thématiques communes que partagent le Nouveau Cinéma Allemand et la pratique artistique de Jean Luc Verna puisent par ailleurs dans la culture punk, le travail de Verna se situant plus spécifiquement dans le champ plus large de l'art contemporain, de la culture queer et de la scène underground. Verna est souvent associé au mouvement artistique queer français et influencé par l'esthétique punk et DIY, redonnant ainsi sa place au marginal. Tout comme Fassbinder, Verna rejette l'autorité et les normes sociétales, souvent par la critique des structures oppressives et des systèmes contemporains. De manière subtilement humoristique, il aborde des problématiques liées à la lutte des classes, au genre et aux dynamiques de pouvoir. 

Les images de Verna produisent souvent un choc la première fois qu’on les voit, mais celui-ci s'estompe à mesure que nous les fréquentons et en découvrons toutes les nuances. Cette imagerie parfois humoristique nous interroge souvent sur le plan privé et personnel. Ses images sont une réflexion sur le monde et les êtres humains. Les dessins de Verna nous invitent ainsi à méditer sur le monde éphémère qui nous entoure et la vie des êtres humains qui l’habitent.  

Il y a quelque temps, lors de la première télévisée de l'émission Berlin Alexanderplatz, dans un contexte d'hystérie collective autour du terrorisme, un téléspectateur a demandé à Fassbinder : « Êtes-vous anarchiste ? »

Ce à quoi Fassbinder avait répliqué : « Je suis pour l'anarchie de l'imagination. »

Cette toute première exposition individuelle de Jean Luc Verna à la Galerie Ceysson & Bénétière de New York est un événement très attendu. Son défilé d'images pleines de personnages, d’animaux, de fantômes, de squelettes et de corps est comme un flot de visions incarnant l'esprit de l'anarchie dans le monde de l'imagination artistique. 

En adoptant une approche créative anarchique, Verna montre par ailleurs comment l'imagination peut se déployer lorsqu'elle est sans contraintes. En tant qu'artiste qui, de par sa conception même de l'art, interroge le normatif, Jean-Luc Verna et ses œuvres jouent un rôle majeur dans une compréhension plus fluide et ouverte de l'imagination et de l'expression artistique.

Lara Pan, août 2023.

 

Artiste de l'exposition : Jean-Luc Verna

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