Bernard Pagès

Mouvoir

07 mai - 16 juillet 2022

Bernard Pagès

Mouvoir

07 mai - 16 juillet 2022




 

L’inventaire des matériaux mobilisés, depuis plus d’un demi-siècle, par les sculptures de Bernard Pagès est déjà, à lui seul, un poème de la diversité et une source, polyphonique, de sensations visuelles et tactiles. Nous voilà spectateurs enchantés du bois et du grillage, du granit ou du ciment coloré, du bois calciné, de l’os et du plexiglas, des bidons et des cabochons, ou des briques et de la terre, de la tôle ondulée et du plâtre teinté, du caoutchouc , des fers à béton, de la céramique et de l’IPN, de l’acier rouillé ou du métal galvanisé, du plomb moulé, de la paille et de la plaque d’égout, de planelles de ciment et du cuivre, de fers à cheval, de tubes et poutrelles d’acier, de pointes métalliques, de galets de grès, de granit rose, de blocs de craie, de fers  ronds, de feuilles ou coques de plomb doré à l’or fin, de béton, de tuiles, de culots d’obus, de barbelés, de carrelages, de guirlandes de chantier, etc. Mais l’artiste, loin de se laisser submerger par ces averses de l’hétérogénéité qui pourraient emporter l’œuvre dans quelque dissémination incohérente, les examine attentivement et, dès 1967, avec les Arrangements , les couple et dévoile leur logique concrète faite d’oppositions, de différences, de correspondances, de contrastes ou d’équivalences concernant leurs formes, lignes, volumes, textures, compacité, etc.

Cet art aime les antagonismes, les dissemblances, les antinomies, le pluriel, et s’enthousiasme d’effectuer des conjonctions cohérentes, une unité dynamique, des assemblages recevables, une mise en relation tensorielle du Même et de l’Autre. Significatif est ce cauchemar, récurrent et « affreux », dit-il, de Bernard Pagès : le voici dans un éboulis de rochers en vrac en plein champ, condamné à la tâche infinie d’ordonner ce chaos. Et, dès 1984, il remarquait : « Le chaos, oui, c’est vrai, je n’aime pas ça. Mon travail (…) cherche une espèce d’équilibre entre ordre et désordre ».  

Passion de Bernard Pagès : faire « bouger » la sculpture – ainsi, dit-il, « Les Fléaux c’est une danse » - mais aussi la rendre oblique, la faire vibrer dans la dualitude de l’équilibre et du déséquilibre. Innombrables, en effet, tout au long du parcours de l’artiste, sont les œuvres qui, selon ses propres termes, sont « de guingois », ont un côté « bancal », sont « déhanchées », sont « inconfortablement installées et montrent leur instabilité », penchent et flirtent avec le vide, ou semblent « posées sur le flanc comme un bateau à marée basse ». Songeons, par exemple, aux Larrons et à L’Echappée, et à Sculptures I et II dont les corps de métal filent, obliques et tordus, vers le ciel ; aux pièces du Jardin de Chambord, aux Gloriette ou aux Chevêtres ; aux Acrobates qui « utilisent à nouveau la colonne dans son entier, mais sans rétablir son équilibre » (B.Pagès) ; à La Déjetée, si déportée, décentrée – « excentrique » au double sens du terme – et qui, à la fois solide et énergique tient debout tout en déportant par trois fois son centre de gravité, en jouant jusqu’à l’extrême avec les lois de la pesanteur, en défiant le risque de déséquilibre, d’écroulement et de rupture. Ces privilèges accordés à l’oblique périlleuse se retrouvent aussi, sous diverses modalités, dans la famille des Profilés, ou dans L’Echappée, Tout au bout, La Pirate, et, bien sûr, dans les Pals. Du premier Pal qu’il réalisa l’artiste dit joliment : « Je lui ai appointé le cul pour qu’il ne tienne plus droit »  Vivante, une sculpture doit connaître le mouvement, voire la virtuosité de l’équilibriste. Et Bernard Pagès de confier l’immense admiration qu’il porte – on l’aurait deviné ! – aux monde des trapézistes et autres acrobates du cirque.

Ainsi la sculpture ne représente rien, n’illustre ni notre image ni l’image de quoi que ce soit. Elle se suffit de traiter des questions de sculpture, … mais, ce faisant, elle se révèle nous parler, nous regarder, nous inviter à des pensers sculpturaux et à des cheminements de l’imagination. Nombre de légendes d’œuvres sont déjà, par elles-mêmes, des invitations possibles à des rêveries matérielles : Le Chapeau de Venise (1984), Le Cimier mauve (1986), L’Electrisée (1988),  L’Ecorchée (1989), La Rayonnante (1989) , La Lambrusque (1990), La Noctambule (1990), Les Chevêtres (1992), Le Dévers aux falbalas (1994), Le Dévers aux fruits d’or (1997), Les Ceps en foule (2000), Les Larrons (2004), Le Balcon sur la mer (2009), La Pirate (2011), L’Echelle de Jacob (2017-2018)…  Alors le guingois, le bancal, nous parlent peut-être de notre faiblesse et vulnérabilité. Le couple équilibre/déséquilibre, si fréquent et porté au bord du risque de rupture, peut faire signe en nous à quelque chose tant de L’Homme qui marche que de L’Homme qui chavire d’Alberto Giacometti notant : « J’ai toujours eu l’impression ou le sentiment de la fragilité des êtres vivants, comme s’il fallait une énergie formidable pour qu’ils puissent tenir debout ».

Extrait du texte de Bruno  Duborgel , Sculpturale, une chorégraphie d’oxymores, 2021
 




Artiste de l'exposition : Bernard Pagès


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