Nancy Graves

04 juin - 16 juillet 2022

Nancy Graves

04 juin - 16 juillet 2022




 

Les multiples ressources de Nancy Graves


Ce sont d’inoubliables chameaux grandeur nature, faits de fourrure, de bois, d’acier et de polyuréthane qui ont fait acquérir une renommée internationale à l’artiste américaine Nancy Graves. Ils ont été exposés en 1971 lors sa première rétrospective, à la Neue Galerie im Alten Kurhaus d’Aix-la-Chapelle. Non loin de cette première institution européenne à reconnaître son fabuleux talent, la galerie luxembourgeoise de Ceysson & Bénétière exposera une large sélection d’œuvres de sa maturité.


Graves est une artiste dotée d’une vaste culture qui, pour notre plaisir, se garde d’exhiber ses références. Réalisées entre 1976 et 1994, la soixantaine d’œuvres exposée à Luxembourg montrent avant tout la diversité des techniques et des images qu’elle mobilise pour traduire ses quêtes esthétiques dans les musées et les sites archéologiques ou rendre compte de ses voyages imaginaires nourris de lectures scientifiques et littéraires.


Des estampes de grand format et des aquarelles représentent ses œuvres sur papier. Son pinceau humecté sur papier humide déploie tout le potentiel de la technique du mouillé sur mouillé. Qu’il soit presque sec ou fortement chargé, les traits sont fins, discrets ou audacieux ; la couleur est à la fois saturée, transparente et pointilliste.


L’espace muséal de la galerie de Wandhaff fait la part belle aux sculptures métalliques audacieusement colorées que Graves a entreprises au début des années 1980. Les Wax Works (œuvres à la cire) sont des sculptures de table en bronze composées d’éléments moulés à partir de divers objets organiques ou manufacturés, d’abord soudés ensemble puis redéfinis à l’aide de vives patines. Pour les réaliser, elle fondait d’abord à la cire perdue chacun des composants. La sculpture en bronze les assemblant était ensuite émaillée par une cuisson à haute température. Elle est l’un des artistes américains à avoir renoué avec cette technique artisanale apparue dans la vallée de l’Indus il y a plus de 6 000 ans.


Parmi les grandes sculptures, le défi à la gravité de Perceptual Threshold (« seuil perceptif », 1990) apparaît à première vue comme un jeu habile sur la ligne, le plan, le volume. Sous un certain angle, le ruban rouge en cuivre et la chaîne de fer colorée délimitent une image plane. Seule la base composite brise cette illusion de planéité. Lorsque le seuil perceptif est franchi, cette illusion semble encore plus perverse, voire surréaliste, car la chaîne en fer conserve sa forme gracieuse en S sans s’effondrer sous son propre poids.


L’exposition comprend également des sculptures murales telles que Nasua (1993), dont le titre renvoie à « Nasua nasua », le coati à queue annelée, un petit mammifère forestier, omnivore et diurne, de la taille d’un chat, facile à apprivoiser, répandu dans l’Amérique du Sud. Le relief lui-même est composé d’éléments divers, mais aucun à sang chaud. Le torse et une patte d’un faucon égyptien sculpté sont les formes les plus faciles à identifier, ainsi qu’un casque égéen à cimier. Séparée du corps, la patte du faucon est posée avec désinvolture au sommet du relief, rattachée au cimier du casque par un orteil. Entre eux se trouve un treillis de cinq petits poissons, probablement des sardines puisqu’ils ont été moulés directement. La couleur rehaussée est rendue plus mystérieuse par l’adjonction de verre dans l’émail.


En 1991, Graves n’avait plus rien à prouver quant à son statut de peintre. La surface et le médium sont la moindre de ses conquêtes picturales. In Care of Solitude combine des paillettes et des feuilles d’or avec de la peinture à l’huile sur toile tendue. En fait, deux toiles distinctes. L’une semble fixée sur une dentelle d’aluminium anodisé qui repose sur le mur. Les trois éléments tiennent ensemble par leur cohérence chromatique et leurs images entrelacées. 


1991 est aussi l’année où les poèmes d’Octavio Paz ont été intégralement traduits en anglais par Eliot Weinberger. Graves a emprunté des vers de deux poèmes pour nommer ses peintures. On the Changing Skin of the moment et Fat drops of the milk of silence sont exécutés à l’huile et à l’acrylique sur toile façonnée. Les formes de ces toiles sont particulièrement saillantes, car elles intègrent des outils de dessin anguleux, tels des triangles rectangles, des rapporteurs et des perroquets.


L’une des peintures de l’exposition s’intitule Polytropos. Cette huile sur toile de 1982 est presque apaisante par sa technique traditionnelle. Homère qualifie Ulysse dès le premiers vers de l’Odyssée. L’épithète fait référence à la nature complexe et multiforme du personnage, à la fois guerrier audacieux, négociateur habile et manipulateur rusé. Il a été traduit par « aux mille ruses » ou « aux multiples ressources ». Quel meilleur mot pour décrire Nancy Graves ?


Rachel Stella

 




Artiste de l'exposition : Nancy Graves


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière