ORLAN

Ceci est mon corps … Ceci est mon logiciel ...

01 avril - 13 mai 2023

ORLAN

Ceci est mon corps … Ceci est mon logiciel ...

01 avril - 13 mai 2023




 

ORLAN : Ceci est mon corps… Ceci est mon logiciel…


Il est des expositions en galeries qu’il faut avoir vues, tant elles présentent d’importance historique. Celle que consacre la galerie Ceysson & Bénétière à ORLAN, en son vaste espace de Koerich, appartient résolument à cette catégorie. Sans pour autant constituer une totale rétrospective, elle permet d’embrasser près de six décennies de création de l’artiste. C’est que l’œuvre d’ORLAN est si étendue que, malgré l’immensité de l’espace, il a fallu procéder à un choix drastique des œuvres présentées. L’exposition rend bien compte à la fois de la grande diversité des formes adoptée par une artiste qui, depuis ses débuts, n’a jamais cessé de se renouveler, de créer véritablement, mais aussi de l’extrême cohérence de son œuvre. Les œuvres iconiques qui constituent aujourd’hui la carte de visite d’ORLAN dans le monde entier – on pense nécessairement ici à ses deux performances et séries d’œuvres les plus fameuses, celles du Baiser de l’artiste de 1977 et les séries d’opérations chirurgicales du début des années 1990 – ne sauraient faire oublier toutes les autres créations qui, en s’accumulant au fil du temps, donnent lieu à un corpus d’une incroyable richesse.

Tout commence avec la sidérante et prémonitoire ORLAN accouche d’elle m’aime. Dès 1964, alors qu’elle n’était encore qu’adolescente, âgée de seulement 16 ou 17 ans (et il convient de rappeler qu’à l’époque, l’âge de la majorité, en France, était de 21 ans), la toute jeune fille prenait déjà en main sa vie d’artiste et de femme à venir. Avec une incroyable précocité, ORLAN traçait le fil de son destin et plaçait, en un véritable geste manifeste, le corps, son corps, au centre de son œuvre. Là où son destin de femme l’appelait et même la condamnait à enfanter, ORLAN se rebellait contre sa condition de genre et sortait littéralement du cadre dans lequel son corps aurait dû l’enfermer. De sa matrice ne sortirait qu’une œuvre, une artiste, à la production sans cesse renouvelée depuis. A la finitude des enfantements qui impose des limites et des barrières aux femmes, ORLAN opposait l’infini de la création. Le corps, ainsi non plus subi mais approprié, pouvait à la fois faire œuvre et donner naissance à celle-ci comme le prouvait rapidement l’éblouissante série des corps-sculptures. Qu’il s’agisse de la relecture du baroque ou, plus tard, des opérations esthétiques puis des multiples self-hybridations, l’artiste n’a eu de cesse d’imposer le corps, son corps, dans le processus de création. De celui-ci, elle a fait la mesure de toute chose, en inventant un étalon à sa mesure, l’ORLAN-corps qu’elle a notamment mobilisé pour de fameuses performances de mesu-RAGE. Le corps de l’artiste devenait alors l’étalon dans lequel s’exprimaient les dimensions du lieu qu’il investissait.

Exit la matrice féminine enfermant la femme dans un rôle secondaire, place au logiciel ! L’exposition actuelle permet aussi de comprendre comment ORLAN s’est très rapidement saisie des technologies, notamment les plus innovantes, pour transgresser les limites imposées au genre féminin. C’était déjà le cas de ses peintures et de ses collages des années 1970, tout un pan de sa création qui reste trop méconnu. Les femmes étant très peu présentes dans la tradition de la peinture abstraite, c’est évidemment dans celle-ci qu’ORLAN s’est engouffrée. Avec un plaisir aussi provocateur que gourmand, elle a choisi pour pigments la peinture… industrielle. Ces œuvres, rarement montrées, constituent l’un des attraits de l’exposition. Il en va de même des surprenants collages, dont beaucoup ont été composés à partir de photocopies. Cette technologie s’est tellement banalisée aujourd’hui que l’on a du mal à penser que, lors de leur apparition, elle a constitué une avancée technologique majeure. ORLAN ne pouvait que s’en emparer. Plus tard, les logiciels de retouche numérique ont constitué une autre voie qui a été mobilisée par l’artiste pour que son œuvre prenne pleinement corps. Qu’il s’agisse des self-hydridations précolombiennes, africaines, ou, tout récemment, mayas, mais aussi des Femmes qui pleurent sont en colère inspirées de Picasso, une part très importante de l’œuvre d’ORLAN n’aurait jamais pu voir le jour sans l’aide des nouvelles technologies. Jamais, en près de 60 ans de carrière, l’artiste n’a cessé de réfléchir et de travailler sur ce corps dont l’usage et la représentation sont devenus indissociables des progrès techniques et scientifiques. 

Il est des expositions en galeries qu’il faut avoir vues, tant elles présentent d’importance historique. Celle qui vous est offerte en ces murs dévoile magistralement ORLAN. Car ceci est son corps... Ceci est son logiciel…


 


Alain Quemin

Professeur d’université

Membre sénior de l’Institut Universitaire de France & de l’Association Internationale des Critiques d’Art


 




Artiste de l'exposition : ORLAN


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière