Noël Dolla

Tarlatane / Teinture, 1969 - 2023

14 septembre - 21 octobre 2023

Noël Dolla

Tarlatane / Teinture, 1969 - 2023

14 septembre - 21 octobre 2023




 

« Tout est déjà commencé, nous avons seulement à le continuer… Toute résolution pour le futur est illusoire. Continuez de faire ce que vous faites ; simplement faîtes-le mieux. »


Alain, Propos sur le bonheur (1925)



Noël Dolla peint sans nostalgie depuis plus de cinquante ans, et s’est toujours empressé de se débarrasser de ce qui ne lui servait plus, cherchant sans cesse à aller de l’avant par tous les moyens. Tarlatane / Teinture 1969-2023 est la première exposition de l’artiste français à New York. Elle se concentre sur un fragment de sa vaste production et met en lumière un demi-siècle de sa peinture sur tarlatane. 


En France, cette gaze à tissage très lâche est le plus souvent utilisée par les artisans pour réparer les murs. On en coupe des morceaux que l’on colle pour recouvrir les fissures dans le plâtre avant de le peindre. De par sa porosité, la tarlatane a autant de facettes que d’usages possibles : c’est une matière brute et rugueuse qui, paradoxalement, sert aussi à faire des tutus. Tout au long de sa longue carrière, Dolla a su exploiter les caractéristiques formelles et physiques inhérentes d’une grande diversité de matériaux. Dans cette exposition, la tarlatane est pliée, teinte et imprimée de multiples manières. À d’autres moments, Dolla a déjà drapé et enroulé cette gaze dans l’architecture même des lieux. La tarlatane est ici utilisée en tant que coton tissé comme substitut de la toile, qui est le support pictural traditionnel.  


Dans les années 1960, Dolla fût l’un des nombreux artistes à chercher de nouvelles stratégies picturales, davantage en accord avec son engagement social radical aspirant à la répartition des pouvoirs. Il ne semblait y avoir aucune raison immuable pour que la peinture se limite au cadre commercial traditionnel de la toile tendue sur châssis accrochée sur un mur blanc et observée d’un point de vue unique, symbole d’un pouvoir hégémonique. L’usage que fait Dolla de la tarlatane tient tout entier dans ce geste d’invitation consistant à faire entrer la peinture dans le quotidien. Mais loin d’en faire un acte polémique, l’artiste se laisse plutôt aller à un joyeux frisson procuré par ses pérégrinations dans la vallée entre les cimes du grand art et la plaine du populaire, où artiste et spectateur peuvent tout deux prendre plaisir à des phénomènes visuels que l’on pourrait aveuglément taxer de décoratif.


Un endroit où se reposer un moment, se ressourcer, et flâner. Un environnement d’options tonales, cependant encore contenu à l’intérieur de la peinture en tant que telle — ses éléments reconfigurés et son logiciel piraté — comme le tulle, rugueux et doux à la fois. La peinture peut, caressant doucement le reste du monde, n’être qu’une chose, significative, parmi tant d’autres.  


Voilà le moment où l’œuvre devient art et ne s’en tient pas seulement au discours. Les tarlatanes de Dolla sont les avenues d’une action capillaire. L’artiste plonge l’extrémité d’un fin rouleau de tissu dans des pots de peinture diluées dont celui-ci s’imprègne généreusement. La couleur ne demeure pas à la surface mais fait intégralement corps avec le matériau. 


Ces premières marques sont indexicalement répétées, répliquées et déformées tandis que les couches invisibles du tissu roulé absorbent la peinture. Ces transferts de marques, souvent ponctuées de trois points, créent une intentionnalité tandis que leur anonymat préserve l’espace suffisant permettant au spectateur de garder son autonomie.


Le tissu lui-même étant si léger, le mur de la galerie sur lequel il est présenté, ou bien le sol sur lequel tombe la fin du rouleau—et qui représente le monde matériel — devient le cadre de la peinture. Le substrat même semble ainsi se changer en ligne vivante, un ouroboros arraché au monde et libéré dans la nature. Les peintures de Dolla n’échappent pas à la physique à laquelle nous, spectateurs, sommes soumis. Nous ressentons peut-être un moment d’attention égalitaire avec l’artiste, mais jamais de révérence. En réorientant le monde physique sans pour autant le quitter, Dolla propose de nouvelles réalités visuelles et haptiques ouvrant le champ de nos possibles. Devant le titre de cette série, je ne peux m’empêcher de penser que dans cette vie, we tool, we die*.  



Erik Lindman, juin 2023.


*Jeu de mots homophonique avec le titre de l’exposition “Tulle/dye”. 

 




Artiste de l'exposition : Noël Dolla


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
956 Madison Avenue
10021 New York


T: +1 646 678 3717