Heaven sent
Ceysson & Bénétière Tokyo a le plaisir de présenter Heaven Sent, la première exposition personnelle au Japon de l’artiste américaine Rachael Tarravechia.
Dans Heaven Sent, Tarravechia invite le spectateur à pénétrer dans un paysage onirique, oscillant entre la familiarité domestique et l’imaginaire fantastique. L’artiste y réinvente l’archétype de la maison de banlieue comme un labyrinthe surréel de pièces — autant de portails où mémoire, fantasme et trouble émotionnel se rencontrent. Inspirée par son attrait pour les films d’horreur, l’anime, les jeux vidéo et le design des années 1980, Tarravechia transforme l’imagerie rassurante du foyer en un théâtre de métamorphose psychologique.
La série s’ouvre sur des dérives numériques : Tarravechia explore virtuellement des maisons issues d’annonces Zillow dans la banlieue de Reno, au Nevada, glissant à travers les visites 3D telle une présence spectrale. Ces intérieurs — conçus, rénovés et soigneusement mis en scène — deviennent la matière première de ses compositions en collage, où se mêlent pages d’Architectural Digest des années 1980, photographies de voyage et éléments empruntés à l’esthétique du jeu vidéo. Il en résulte un univers à la fois séduisant et troublant, suspendu entre nostalgie et malaise.
Pour Tarravechia, la création de mondes est au cœur de sa pratique. Ayant grandi comme seule fille parmi trois frères, elle a très tôt perçu les différences subtiles et codifiées dans les expériences de genre — une tension qui imprègne son langage visuel. Les jeux vidéo tels que Final Fantasy, Okami ou Kingdom Hearts lui ont offert, dès l’enfance, des espaces d’évasion et de transformation, où elle pouvait exercer un pouvoir et une liberté inaccessibles dans le réel. Dans ses toiles, les armes flottantes, icônes étincelantes et symboles animés évoquent ces choix constants entre danger et émancipation.
Les œuvres de Heaven Sent oscillent entre le sacré et le profane. Dans Un Petit Coup, une salle de bain typique des années 1980 se pare d’une lumière de coucher de soleil, les reflets des boules à facettes dansant sur les murs tandis qu’une huître offre sa perle — un instant de calme iridescent avant que le rêve ne bascule dans l’étrange. Suitehearts confronte le spectateur à un lit en forme de cœur où deux squelettes sertis de bijoux — rappelant les reliques catholiques — s’enlacent pour l’éternité tandis que la pièce s’embrase.
À mesure que la maison se déréalise, ses pièces deviennent des arènes oniriques. Dans Carbonated Blood, un cercueil vampirique lévite au centre d’une salle de bain carrelée. Transformation Sequence unit rituels funéraires et cosmétiques autour d’un cercueil serti de pierres précieuses en pleine métamorphose à la Sailor Moon. Enfin, One Winged Angel clôt cette traversée comme un combat final : cathédrale gothique et univers vidéoludique s’y confondent, entre vitraux de jetons et orgue inspiré de Final Fantasy VII et Puella Magi Madoka Magica.
Les peintures de Tarravechia allient opulence et rigueur. Serties de strass, de perles, de dentelles et de chaînes, elles se distinguent par une précision et une pureté formelle impeccables. Sous l’éclat de leurs couleurs vives et de leurs textures chatoyantes se devine une tension entre retenue et excès, entre beauté maîtrisée et débordement affectif — une exploration du corps, du contrôle et du désir.
Heaven Sent se déploie à la fois comme un récit et comme un miroir : le spectateur devient joueur, traversant un labyrinthe qui se transforme du confort domestique en un espace de confrontation. Entre fantasme et peur, l’œuvre de Rachael Tarravechia interroge ce que signifie habiter des espaces — à la fois physiques et psychologiques — à la fois beaux, hantés, et profondément humains.














