Robert Brandy

11 septembre - 12 octobre 2008

Robert Brandy

11 septembre - 12 octobre 2008




 

La galerie Bernard Ceysson, Luxembourg, présente du 11 septembre au 12 octobre 2008, une exposition Robert Brandy. Elle regroupe des œuvres récentes caractéristiques du style de l’artiste ; des peintures plus anciennes pour la plupart des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt et des œuvres dérangeantes : collages, assemblages d’objets, de documents divers mis en boîtes pour composer l’archive d’une histoire singulière : celle d’un personnage très énigmatique. Un certain Bolhito Blane, aussi improbable et présent qu’Arthur Cravan !



Les œuvres récentes sont rassemblées autour de toiles de grands formats que Robert Brandy affectionne mais qu’il n’a pas eu depuis longtemps l’occasion de montrer. Elles surprendront son public luxembourgeois. Ces toiles portent à leur plénitude les caractéristiques de la manière de Robert Brandy : compositions très architecturées ; effets de trompe-l’œil qu’accusent inscriptions et collages que le peintre sait remarquablement accorder à la texture picturale ; jeux de coloris maniéristes, enfin, que lui permet l’utilisation de pigments naturels, d’ocres somptueux, de bleus intenses qui évoquent à la fois le lapis lazuli et les ocres chers aux peintres italiens de la Renaissance et les poudres granuleuses de pures couleurs d’Anish Kapoor. Ces peintures ont valu à Robert Brandy bien des éloges et bien des critiques. Accusation grave : son art serait décoratif. Il l’est, en effet. La somptuosité de ses coloris naît de leur réalité minérale, de la matérialité des pigments qui, étalés à l’aide de liants naturels, portent en eux cette intensité colorée que le peintre ne veut surtout pas dénaturer, fidèle en cela aux enseignements des artistes de Supports/Surfaces. Qui émet cette accusation l’accole généralement à celle de virtuosité. Or, qui sait peindre sait que peindre avec des pigments naturels, même soigneusement broyés, requiert non de la virtuosité mais un métier artisan, patient. Étaler ces poudres terreuses est tout aussi malaisé que peindre à la tempera. Qui regarde attentivement les toiles ainsi peintes de Robert Brandy ne manquera pas de ressentir la puissante subtilité des dissonances que leurs colorations, aussi acidulées que celles de Pontormo, de Barocci ou de Sogliani, propagent jusqu’à déporter notre regard fasciné vers un déséquilibre aliénant. Ainsi, quelques œuvres de petites dimensions, peintes avec un métier d’orfèvre, perçues d’abord comme de petits bijoux « décoratifs » abîment, en fait, la peinture dans un kitsch destructeur qui nous offre le plaisir médusant d’une somptuosité mortifère où tout se remet en question. Et, d’abord, la peinture ! Pour bien comprendre ce qui est ici en jeu, il faut retrouver les toiles plus anciennes qui tentaient de produire à la fois l’effacement de la peinture en ces années soixante-dix où les avant-gardes aspiraient au dernier tableau, à la fin de l’art, à celle de l’Histoire et à leur restauration. D’où ces surfaces vides où des frottis légers jettent les ombres de formes inachevées dans des espaces inaccomplis que des tracés hâtifs et des insertions de bois, de cordes, s’évertuent à architecturer. À l’impasse des effacements de ce qui n’avait pas été, de ce qui n’était pas et ne serait jamais, Robert Brandy opposa brièvement le jeu illusoire d’installations. Puis vint la confection de boîtes où s’enchâssaient de fragiles constructions assemblant branches, tissus, ficelles, objets divers. Nous sommes dans les années quatre-vingt. Le monde de l’art européen découvre enfin les boîtes vitrées dans lesquelles Joseph Cornell enfermait ses juxtapositions « surréalisantes » de fragments d’objets anciens et précieux, chinés chez les antiquaires. Les œuvres surréalistes d’Alberto Giacometti, plus que ses grêles sculptures des années cinquante, suscitent alors l’intérêt des artistes. Les constructions précaires de Robert Brandy témoignent de leur influence. C’est aussi le moment où plus que son silence - que Beuys juge surestimé -, ce sont les boîtes et les valises de Marcel Duchamp qui stimulent la créativité des artistes. Ce qu’ils retiennent de Cornell et de Duchamp, c’est un dessein d’archivage du réel, de l’art, de soi-même, des savoirs, que la peinture ne permet pas. La composition de boîtes conçues comme des vitrines de musées ethnographiques leur permet de dépasser les limites du collage et de l’assemblage encore tributaires de l’ordre pictural. Les musées archéologiques, d’arts et traditions populaires, d’ethnographie ou de préhistoire, leur semblent offrir des dispositifs de présentations fragmentaires qui laissent place au rêve et à l’imaginaire en fondant et structurant logiquement tout récit à partir de pièces à conviction tangibles. La boîte peut accueillir tout élément probant : photos, textes, images, objets divers, films, vidéos. Elle configure des ensembles multimédias autonomes faisant appel à tous les sens, aux savoirs les plus divers. Bref, elle permet de déployer des modes narratifs plus complexes que la peinture, la photographie ou le livre. La boîte, comme une vitrine de musée, relie des éléments qu’apparemment tout sépare. Elle en oriente l’étude et la compréhension par des savoirs extérieurs qui ont déterminé cette liaison laquelle, effectuée, vient ricocher sur ces savoirs pour les modifier. C’est ce que Duchamp et Cornell avaient bien compris. D’où ce recours, dès les années soixante, mais surtout dans les années soixante-dix, comme échappatoire à la fin de l’art et de la peinture épuisée dans sa quête du dernier tableau, à la boîte aussi bien chez des artistes conceptuels que chez des artistes voulant rassembler et pérenniser les traces de leur existence. George Brecht, Jochen Gerz, Christian Boltanski comptent avec les artistes de Fluxus, parmi les artistes les plus représentatifs de cette vogue de la boîte vitrine muséale que Daniel Buren monumentalise dans ses cabanes éclatées où se disloque le cube, ni objet ni monument, de Tony Smith.



Dans les années soixante-dix les boîtes sont, mêmement, pour Robert Brandy une solution aux impasses de la peinture et à son effacement à la fois inéluctable et impossible. Très vite, il lui apparaît que leur confection compulsive porte à des dérives obsessionnelles ou, pire, décoratives. Mais elles lui autorisent le retour au récit, à l’istoria, à une invention littéraire sans contrainte. D’où l’apparition de Bolhito Blane, que l’on peut imaginer espion, dandy voyou, détective, parcourant le monde comme les grands reporters des années vingt et trente, comme les détectives, les voleurs gentlemen et les grands espions dont la littérature populaire conte les aventures. Robert Brandy établit la vie et la légende de Bolhito Blane avec le soin minutieux d’un détective et d’un muséographe. Comme Cornell, il rassemble des objets précieux, jusqu’à une voiture, qui témoignent de son existence et de l’inanité de sa biographie officielle. Les boîtes de ce récit donnent ainsi corps à une double fiction : celle de l’existence de Bonitho Blane et celle de la fiction de la fiction des pièces à conviction qui l’établissent. Ce n’est que de l’art dont la propre réalité n’est, ce qu’accuse la troisième dimension propre à la boîte, qu’un trompe-l’œil : un mazzochio. La boîte ne serait ainsi, à l’ère du collage, de l’assemblage, de la publicité, du cinéma et de la télévision, qu’un avatar moderniste de la boîte perspective, de la camera oscura dont Huygens avait décelé, à propos, des images produites par les « chambres noires » de Drebbel, d’emblée, le pouvoir falsificateur. Ce n’est pas un hasard si, dans l’art de Robert Brandy, l’apparition de Bolitho Blane, va de pair avec un retour à la peinture, à une peinture comme, tout soudain, délivrée des tromperies théoriques qui entravent sa pratique, tromperies théoriques établies sur les vérités fragiles des postulats avant-gardistes aspirant à cette Gesammtkunstwerk que serait la Cité idéale décrite par Cioran comme la cité de la terreur totalitaire. Pour Robert Brandy, comme pour bien des peintres de sa génération, travaillant en France et en Europe, la peinture a une réalité qu’elle se doit d’affirmer pour attester qu’elle n’est pas une fiction. C’est la fiction que génèrent les boîtes, l’ironie distante que l’artiste manifeste à l’égard de son double trompeur, dont il feint d’avérer la présence, qui le portent à une peinture de gestes - de gestes sans expressivité - qui étalent des terres broyées, portées à la plénitude de leurs chromatisme, sur la toile. Ainsi celle-ci ne feint plus d’ouvrir des vedute sur le monde réel. Elle ne se veut plus le lieu de projections d’images trompeuses.


C’est de pigments terreux qu’étaient extraites les couleurs des images des rites du sacré peintes à fresque aux murs des temples et des tombeaux. La réalité de la peinture s’y exposait dans sa matérialité même. Et ce de manière symbolique et impitoyable. Implacable. La toile, chez Brandy, se substitue au mur, parce qu’elle est tissée, parce que le tissage est texte, lié au langage. La toile est là, dès la naissance. Un linge reçoit l’enfant qui vient de naître et l’enveloppe. La toile est, à jamais là, à l’heure de toute mort. Elle est linceul. Elle est donc le réceptacle où peuvent reposer des traces d’objets réels, fragments de photographies, de journaux, de lettres, où se lisent des bribes de messages peu lisibles : des traces de présences disparues. Les terres les recouvrent de leurs couches de poudres colorées. Les stridences de leurs dissonances fardent l’inexorable ensevelissement de toute vie dans la réalité de la poussière. Cette cosmétique poignante atteste de la présence de la mort dans le pouvoir décoratif fascinant et médusant de la peinture. De la peinture de Robert Brandy.

Bernard Ceysson

 




Artiste de l'exposition : Robert Brandy


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière