Aurélie Pétrel

PVL, commissaire d'exposition Étienne Hatt

05 juin - 24 juillet 2021

Aurélie Pétrel

PVL, commissaire d'exposition Étienne Hatt

05 juin - 24 juillet 2021




 

D’Aurélie Pétrel, on a pu voir, y compris dans ces murs, des images spatialisées qui sont plus des sculptures ou des installations conçues pour des lieux et des situations spécifiques que des photographies au sens traditionnel du terme. Les images y sont imprimées sur des supports non conventionnels comme le bois, le métal ou le verre, elles sont fragmentées et réagencées dans l’espace. Elles sont soumises à un processus d’abstraction qui attaque leur pouvoir de représentation. À tel point qu’on pourrait conclure à l’iconoclastie, voire à la photophobie d’Aurélie Pétrel. Ce serait méconnaître le fondement purement photographique de son travail. Mais on serait excusé puisque c’est la première fois depuis sa première exposition personnelle il y a 10 ans, qu’elle donne à voir les tirages qu’elle nomme prises de vue latentes et qui, toujours dans le lexique précis de son œuvre, sont la matière des activations qui furent jusqu’alors présentées.

Il existe à ce jour plus de 1000 prises de vue latentes, titrées de leur seul numéro d’ordre et du lieu de prise de vue. Ce ne sont pas toutes les photographies que l’artiste a réalisées depuis ses débuts il y a 20 ans, seulement celles qui ont résisté à l’épreuve de la planche contact, puis du tirage de lecture. Une fois choisies, les images sont imprimées sur un papier baryté aux dimensions standard 40 x 50 cm et entreposées dans les boîtes glissées dans le meuble métallique images jachères placé au milieu de l’exposition. De cet état de jachère ou de latence, elles sortent parfois, au sens figurée, quand l’activation les transforme, et au sens propre, quand l’activation les expose. Cependant, jusqu’à maintenant, quand ces tirages étaient présentés au public, c’était à plat dans des dispositifs stratifiés et réfléchissants qui en complexifiaient la lecture. 

Aujourd’hui, sans remettre en cause la pratique protocolaire et in situ d’Aurélie Pétrel, les prises de vue latentes sont montrées pour elles-mêmes. L’exposition n’en offre pas une nouvelle activation. Elle est une exposition de photographies. Ni plus ni moins. Et c’est ce qui la rend importante. Montrant une sélection à la fois représentative et subjective de près d’une centaine de prises de vue latentes, l’exposition peut, en effet, avoir valeur de test pour Aurélie Pétrel qui décide, une fois sa carrière lancée et reconnue par d’importantes expositions et acquisitions, d’en exposer la source. Au risque qu’on se pose une série de questions légitimes : Quelle photographe est Aurélie Pétrel ? Une bonne prises de vue latentes est-elle une bonne photographie ? Les prises de vue latentes font-elles collectivement œuvre de photographe ? 

À cet égard, le premier constat est celui de l’hétérogénéité des images, de ce qu’elles montrent et de la manière de le montrer alors que toutes sont réalisées au 50 mm, objectif qui correspond à la vision humaine. Plusieurs facteurs y contribuent. Le principal est moins la durée de cet ensemble de photographies, qui s’étend sur 20 ans, que la diversité de leurs origines géographiques. Plus jeune, Aurélie Pétrel était une grande voyageuse. Elle a fini par élire huit points d’ancrage où elle retourne régulièrement. Ils correspondent à huit villes – Berlin, Beyrouth, Montréal, Genève, New York, Paris, Shanghai et Tokyo – mais doivent s’entendre plus largement et n’interdisent pas des exceptions, comme le Chili et ses déserts. Surtout, elle n’y photographie pas les mêmes choses ou alors pas de la même façon. Un bon exemple est le motif du dormeur : les gros plans expressifs sur les visages endormis n’ont pas la valeur de commentaire politique et social esquissée par les vues plus distanciées.

Au sein de l’hétérogénéité des prises de vue latentes, on peut identifier d’autres récurrences, plus ou moins conscientes. La première est la gestuelle. Aurélie Pétrel photographie beaucoup de mains et de corps. Ils sont pris dans des actions dont la finalité échappe. Certaines semblent avoir trait à l’œuvre de l’artiste ou à celle du duo performatif qu’elle forme avec Vincent Roumagnac. D’autres renvoient à des savoir-faire artisanaux ou industriels. Les prises de vue latentes constituent une grammaire de gestes réduits à leur chorégraphie silencieuse. Une autre récurrence est celle des images dans les images. D’abord, les images réelles, comme les œuvres d’art photographiées dans des réserves. Mais aussi les images modèles, à l’instar de ces quatre natures mortes qui lorgnent avec humour vers la photographie alimentaire ou de ces paysages japonais en ruine postérieurs à la catastrophe de Fukushima qui renvoient au genre contemporain très répandu de l’aftermath photography, ou photographie de l’après. Il y a dans ces photographies protoprotocolaires que sont les prises de vue latentes quelque chose de métaphotographique. 

Ces récurrences ne sont pas pour autant des sujets. Seuls les dormeurs pourraient constituer un corpus à part. Aurélie Pétrel est une photographe sans sujet mais ses photographies ne sont pas de simples notations quotidiennes qui, réunies, formeraient un journal. Elle ne se glisse pas non plus dans les genres établis. Elle photographie des immeubles, des choses et des gens mais elle n’est pas une photographe d’architecture ou de nature morte, ni une portraitiste. Elle a encore moins de style distinctif et répété. Quel serait le photographe, quelle serait la photographe qui réunirait dans un même élan un rapporteur du 18e siècle photographié frontalement et détouré et une manifestation Black Lives Matter à laquelle il ou elle participerait ? Ces prises de vue latentes pourraient avoir plusieurs auteurs. 

C’est qu’Aurélie Pétrel a une méthode qui, justement, consiste à s’ouvrir au hasard en refusant de contrôler ses moyens. Cette méthode, on ne la soupçonne pas tant son travail de sculpture ou d’installation photographiques semble, au contraire, maîtrisé. En reportage, sur le terrain, sans repérage préalable, parfois au cœur de l’actualité, elle se déplace l’appareil à la main, le long du corps, prête à s’en servir. Et quand elle ne l’a pas et qu’elle veut saisir une image, elle utilise son téléphone portable. Elle tombe sur ses images. Elle les attend et les provoque aussi, notamment en studio, mais elle y recrée alors de l’aléatoire, par exemple en décidant de photographier des explosions ou en s’entourant d’équipes dont elle ne maîtrisera pas les interactions. 

C’est de cette ouverture au divers et au hasard, en un mot, à l’inconnu, que naissent chacune de ces images inédites. Isolément, beaucoup d’entre elles étonnent, au sens fort du terme, et cet étonnement photographique est renforcé par l’appréhension collective qu’offre, pour la première fois, cette exposition. La cryptophotographe qu’était Aurélie Pétrel est démasquée : 10 ans après sa première exposition personnelle, 20 ans après ses débuts, c’est à la naissance d’une vraie, et grande, photographe que nous assistons aujourd’hui.


Étienne Hatt


 




Artiste de l'exposition : Aurélie Pétrel


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
23 rue du Renard
75004 Paris

Horaires:
Mardi – Samedi
11h – 19h
T: + 33 1 42 77 08 22