Pierre Buraglio

...ça et là,

09 juin - 23 juillet 2022

Pierre Buraglio

...ça et là,

09 juin - 23 juillet 2022




 

Toutes ces couleurs et ces matériaux déjà-là que Pierre Buraglio relève et révèle à notre regard, nous les connaissons, nous qui suivons depuis tant d’années son travail. Ce ça-là. Le bleu que nous avons froissé dans la paume de nos mains et jeté dans le caniveau, celui des paquets de Gauloises, de l’intérieur des enveloppes, celui des plaques de métro, le bleu della Robbia, celui aussi de Giotto, de Matisse et d’Hantaï, cette couleur déjà au monde, avant que Buraglio n’en fasse un bleu d’ascèse qui nous touche car il porte les traces de sa déréliction, de son rejet, ses marques d’abandon, comme ce fut aussi le cas des matériaux employés, les éléments déconstruits des châssis de fenêtre ou de sérigraphie, les portes de HLM sur lesquelles il a peint des baigneurs d’après Cézanne ou le Saint François d'Assise d’après Zurbaran, pour ce pas de côté qu’il s’est toujours autorisé à faire avec l’histoire de l’art dans ses peintures ou ses dessins d’après les maîtres. Nous savons avec lui que toute station debout est celle entre la relève et la chute. 

Voilà qu’au fil des ans une intimité plus sensible se montre, s’autorise pourrait-on dire, à la fois géographique et personnelle, et ces travaux récents en portent témoignage, liés à cet endroit où il a toujours vécu et travaillé, Maisons-Alfort, ce quartier de Charentonneau, son île et les bords de la Marne où il se promène chaque jour.
Toujours donner à voir les choses dans leur matérialité même mais de façon plus explicite, plus figurale, plus biographique. Buraglio cite Walter Benjamin dans le recueil à découvert, paru récemment et véritable reflet de lui-même : « Les choses du passé nous attendent et en vieillissant, des sujets, liés à la petite enfance et à l’adolescence, s’imposent à moi. Ne bâtissons-nous pas notre œuvre avec les pierres de l’enfance ? » Parler de soi mais dans un écart, toujours, celui qui lui fait donner à certaines œuvres les noms de jazzmen ou de célèbres figures communistes de la Résistance, rebaptisant les rues de son quartier qui portent depuis 1945 les noms de Gabriel Péri ou de Guy Môquet, cette rue de la Belle Image qui, cela ne s’invente pas, va de chez lui à la Marne. Lieux de vie et lieux d’enfance confondus, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Les murs de briques et de pierre meulière, la trace cartographiée de sa maison ou les blockhaus du Cotentin où il vécut enfant, la présence de la guerre, cette guerre intime, le retour à l’âge de six ans d’un père que l’on n’a pas connu, comme un ciel qui s’ouvre au-dessus d’un mur. Alors, écrire dans le cadre de chacun des châssis de sérigraphie réutilisé une page de cette enfance, ces …entre ciel et terre…, de la terre jusqu’au ciel comme au jeu de la marelle. Pourquoi ne pas insister sur cette forme d’enfance, si déterminante pour beaucoup d’entre nous, quand c’est à cloche-pied que nous apprenions à tracer à la craie sur le sol des cours d’école ces faux plans d’église, quand nous espérions quitter la terre de plomb sous nos pieds pour atteindre un ciel bleu infini. Ces … entre ciel et terre… parcours de marelle inversée chez Buraglio de cette même inversion que celle lue à la fin des Mémoire d’Outre-tombe de Chateaubriand : « il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de la fosse : après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l’éternité », du ciel à la terre avec ce carré vide laissé par Buraglio entre les deux, carré de toute une vie. Carré Blackout, comme il nomme cette autre pièce de métal et carton, il ne s’agit pas non plus de permettre l’irruption du privé dans le public, il s’agit aussi de faire silence, « la boucler » disait Bram Van Velde.

Mais dans ce carré vide, d’autres images invisibles de l’enfance, la Vedette de son père qui vient le chercher à l’école Bossuet, externat de lycéens où il est élève, les courses en sac des kermesses du Cotentin quand seule la tête sort, le bleu des bluejeans ou du Crépuscule with Nelly en hommage à Thelonious Monk, les variations et les reprises, les femmes qu’il dessine, l’autour de soi, le ça et là, les émotions musicales, esthétiques et politiques, les hommages aux maîtres. Dans ce carré vide la place aussi qu’il fait aux petites peintures de réemploi, achetées au marché aux puces, au « décrochez-moi ça, peintures d’anonymes aux signatures biffées, avec cette part de culpabilité à les réutiliser… dit-il. Je finirai peut-être moi-même aux Puces. À ma décharge (sic) : je juxtapose, j’apparie dans Assemblages mes propres peintures et des fragments de ces réemplois…Fragmenter, donc cadrer, recadrer, découper, agents de ma méthode. » 

Buraglio peint, on entend le léger bruit de frappe du pinceau sur les ondulations du carton, roseau d’enfance traîné négligemment contre les murs de brique de son quartier et dont il écoute le rythme, l’œil toujours au plus près de la surface des choses, cette vision très concentrée des enfants sur les détails qui les entourent. Buraglio marche silencieux dans ses rues et au bord de la Marne, boue glissante après les pluies (j’en ai fait l’expérience), mais le regard en alerte. D’invisibles albatros planent sur les ciels changeants, souvenirs de Baudelaire, de Braque et de Saint-Exupéry, affinités électives et présences dans le ça qui est là et l’habite, dans le temps et l’écoulement des mois : mai qui fut sans nuage et juin poignardé d’Aragon en boucle dans la mémoire.
Il ne parle pas. Il se tait. Il montre ça, ce qui est là. Il nous fait voir cette part d’intime qui résonne en chacun de nous car elle touche à l’universel. L’enfance et la guerre, de modestes récits autobiographiques, le récit d’une vie, comme dans ces suites qu’il nomme Terre des hommes et Pilote de Guerre, pour que nous puissions nous souvenir des derniers mots de Pilote de guerre, livre interdit que les résistants lisaient en 43 dans une édition clandestine : « Demain nous ne dirons rien non plus. Demain, pour les témoins, nous serons des vaincus. Les vaincus doivent se taire. Comme les graines. » 

Bernard Collet
Mai 2022
 




Artiste de l'exposition : Pierre Buraglio


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
21 rue Longue
69001 Lyon

Horaires:
Mardi – Samedi
11h – 18h
T: +33 4 27 02 55 20