Claire Chesnier

Rayer le jour, le soir étain

26 octobre - 02 décembre 2023

Claire Chesnier

Rayer le jour, le soir étain

26 octobre - 02 décembre 2023




 

« Cernés par l’obscurité

nous verrons dans le noir


en regardant entre les doigts

de quelqu’un d’autre. »


Hanne Bramnes



Paysages inhabités


Tout ou presque a été dit sur le rapport intime mais ténu entre le paysage et l’abstraction, cette oscillation fragile entre une ressemblance résiduelle et des formes autonomes. L’histoire de l’art a connu les rideaux semi-transparents de Turner, ces trames ou ces voilages qui s'interposaient entre la représentation de la nature et le regard. Ces effets atmosphériques, rendus par des taches de couleurs contrastées et des lignes discontinues, sont comme une "abstraction météorologique", permettant un travail direct sur les effets chromatiques à une période qui n'admettait pas encore la disparition du sujet.

S’inscrivant dans cette « tradition », les Nymphéas de Monet sont une peinture sans point focal, sans bord ni cadre, inspirée toutefois par le jardin de Giverny. Mal accueillie, il fallut attendre les peintres américains d'après-guerre - et c’est tout sauf un hasard- pour trouver un hommage appuyé à l'aspect all over que l'on trouve dans cette dernière série. 

Une exception méritoire, celle de l’intuition de Claudel qui décrit dès 1927 le cycle de Monet comme une forme d’abstraction poétique : « Monet a fini par s’adresser à l’élément lui-même, le plus docile, le plus pénétrable, l’eau, à la fois transparence, irisation et miroir…(il est) le peintre indirect de ce qu’on ne voit pas ». Curieusement, on trouve avec cette belle définition, deux traits caractéristiques de la peinture de Claire Chesnier : l’importance de l’eau qui entre dans la composition de ces œuvres faites à l’encre sur papier et la fascination, voire la quête perdue d’avance, pour ce qu’on peut nommer l’invisible. 

Mais en réalité, face à cette peinture où la couleur s’émancipe de l’objet, c’est surtout à Rothko que l’on songe. Chesnier avoue volontiers son admiration pour ce pionnier de l’expressionnisme abstrait. Rothko, dont la couleur, appliquée généralement en glacis transparents, fait surgir des configurations rectangulaires, superposées symétriquement sur un fond quasi-monochrome. 

Comme pour lui, chez l’artiste française, les plages de couleur aux contours flous sont comme des nappes chromatiques d'une luminosité irradiante qui se perd dans l’espace. Ici, pas de détails subordonnés à un ensemble mais un pan de peinture, une matière colorante qui envahit la surface. Paysages sans limites, qui résistent à la possibilité d'être parcourus par un regard, plaines étendues à l'infini, qui restent inaccessibles au spectateur. Chaque œuvre traite à sa façon les problèmes de formes et de couleurs, le rapport entre l'opacité et la transparence, entre le couvert et le dévoilé, entre tonalités saturées ou matières veloutées. Aucune indication sur la genèse du tableau, aucune trace de pinceau, aucune touche gestuelle n'en signale le processus. 

Le contraste est étonnant entre cette infinité de nuances qui glissent les unes sur les autres et la précision avec laquelle elles sont exécutées. Cette peinture méticuleuse, parfaitement contrôlée, invite le regard à « déchiffrer » les variations chromatiques, mais le tient à distance. A la différence de Rothko qui déclare créer un lieu dans lequel on peut pénétrer, l’œuvre de Chesnier, toute en retenue, se préserve, peut-on dire.      

Au milieu de cette palette de couleurs, une ligne semble séparer, le haut – toujours plus clair - et le bas, toujours plus foncé - ciel et terre, peut-être -. Mais, cette ligne imaginaire, que certains appellent horizon, se modifie à mesure que l’on s’en approche. Le spectateur se perd dans cet espace qui fuit les repères fixes, dans ce champ d'incertitude, où l'autorité du regard cède la place au tâtonnement de l'œil.

André Breton écrit ainsi en 1941 au sujet d’Yves Tanguy : « L'apparition de Tanguy dans la lumière neptunienne de la voyance retend peu à peu le fil de l'horizon qui s'était brisé. Mais c'est avec lui un horizon nouveau, celui sur lequel va s'ordonner en profondeur le paysage non plus physique mais mental ». Est-ce ce paysage mental que vise Claire Chesnier ?  


Itzhak Goldberg

 




Artiste de l'exposition : Claire Chesnier


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
21 rue Longue
69001 Lyon

Horaires:
Mardi – Samedi
11h – 18h
T: +33 4 27 02 55 20