Claude Viallat

Œuvres récentes

08 septembre - 22 octobre 2022

Claude Viallat

Œuvres récentes

08 septembre - 22 octobre 2022




 

On regarde cet ensemble de toiles de Claude Viallat, on se tient devant chacune d’entre elles avec en nous, bien vivante, la mémoire de celles que nous connaissons de lui depuis que, dès 1966, il fit le choix de la répétition d’une même forme sur des supports et des toiles libérées du châssis. Il y a en nous cette accumulation de mémoire sur une œuvre développée chaque jour depuis plus d’un demi-siècle et dont l’origine se fond dans une temporalité plus ancienne encore, pariétale, ce temps d’avant la peinture, celui où l’homme appliquait sa main à plat sur les parois de pierre et faisait de cette trace, de cette empreinte, un cri fragile pour marquer sa présence au monde.


On est dans l’aveuglement solaire de cette mémoire, celui d’un sud méditerranéen où il peint, on y est, pris dans la somptuosité de la couleur qui fait vibrer en nous d’autres cordes mémorielles, les jaunes et les bleus de Matisse, les verts Véronèse, le pourpre velours des chasubles, le rose flamboyant ou le rouge incendiaire des capes de tauromachie, on regarde ces toiles pour y déceler ce qui est advenu d’accidentel, d’inattendu et d’un peu inconvenant parfois, pour la surprise d’une imprégnation hasardeuse de la couleur sur le tissu, ces parties où la couleur déborde, se fige dans le trop plein des épaisseurs de peinture ou, au contraire, s’imprègne en profondeur dans une matité de silence. On les regarde pour cet éclat de lumière venu dans les cernes blancs des formes ou pour l’invasif aventureux et liquide d’une couleur se mêlant à une autre. La singularité vient malgré la répétition régulière de la forme, elle apparaît d’un rapiéçage de la toile que Claude Viallat souligne ou contourne, d’un effilochement libre, d’un cordage entremêlé retenu par les œillets, d’un déjà là inscrit dans la matière même du support et avec lequel il aime, avec jubilation, à composer. Tout ce qu’il y a d’imprévisible et de différent dans cette basse obstinée du travail d’un peintre qui a fait de la répétition d’une même forme la base de sa pratique picturale, cette « impasse fructueuse » dit-il, et qu’il faut rapprocher dans un autre domaine de la musique apparemment répétitive de Philip Glass et de ses imperceptibles variations. Toute répétition, on le sait, n’est jamais réplique à l’identique mais convoque un discontinu dans la continuité linéaire du temps et c’est bien ce rapport au temps que Viallat, dans son étrange corps à corps quotidien avec lui, exprime dans sa peinture avec force et subtilité. 


Chaque matin il se penche sur cette toile « arène où agir », il se tient dans l’attente d’une nouvelle découverte, d’un nouvel étonnement, d’un débordement, ce bonheur à venir qui le tient vivant. Chaque matin se lève sur la toile encore nue un nouvel horizon, quand toute mémoire s’efface et tout se rapproche, tout redevient possible à la surface charnelle du tissu dans la surprise épiphanique d’une imprégnation confiée à la couleur liquide. 


On regarde cette série récente de fragments de bâches militaires, des supports épais qui ont subi les assauts du temps et de la lumière. Par des effets d’insolation, comme sur une plaque photographique, la trace des cordages qui les recouvraient s’est inscrite, mémoire visible de ce qui était là et qui n’est plus, cette mémoire que l’on retrouve aux murs très anciens des maisons désertées où la présence des tableaux qui les ornaient se montre encore dans l’effacement différencié de la couleur. On pense aux premiers travaux de Viallat dans les années 60, aux imprégnations au bleu de méthylène dont le soleil atténuait progressivement la couleur jusqu’à la faire disparaître. Rien ne pouvait l’enchanter davantage que de retrouver les signes visibles de ce combat qui se joue entre la matière, la lumière solaire et le temps. On se tient devant elles aujourd’hui alors qu’il a apposé sur ces bâches ses propres formes et ses couleurs, fait advenir une double présence, celle des cordes elles-mêmes et celle de leur souvenir solarisé marqué sur le tissu. Il a parfois recouvert ces lignes fantômes mais il a fait le choix aussi de les contourner pour les laisser bien visibles, comme un autre motif pour accompagner le sien, reconnaissable entre tous. Il arrive que les interventions de la nature imposent à l’artiste ce retrait et cette humilité, et ceux de Supports/Surfaces les ont souvent pratiqués, laissant agir la rouille, le feu ou le soleil, mais il arrive aussi que l’on veuille entrer dans ce combat, affirmer comme le fait Viallat, la puissance singulière de la peinture, celle d’un geste qui cherche toujours à modifier, à transgresser, à subvertir la matière, à provoquer ce plaisir visuel toujours un peu euphorisant quand surgit sur ces supports pauvres, sur la rusticité des matières de réemploi, ce rêche de toiles détournées de leur usage et destinées au rebut, la beauté somptueuse et sensuelle d’un sud solaire où se célèbrent les noces exaltantes de l’homme avec le monde.


Bernard Collet, 2022

 




Artiste de l'exposition : Claude Viallat


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