David Tremlett

JE DESSINE

10 juin - 15 juillet 2023

David Tremlett

JE DESSINE

10 juin - 15 juillet 2023




 

JE DESSINE


Je dessine tou(les)jours. « Des pensées et des idées » émergent et s’emmêlent dans ma tête, jusqu’à ce que « dans mon cas », le moment vienne où je dessine ces pensées et ces idées. Elles émergent de mon expérience, de la vie, de mes observations. Mon œil est l’appareil photo et mon esprit la carte mémoire. Je dessine en petit, mais je rêve en grand. Tous ces dessins ont pour ambition d’être réalisés sur des architectures ou des volumes, si l’occasion se présente. Je dessine des formes et des solides. Quand j’étudiais la sculpture, je dessinais avant de sculpter, aujourd’hui, je sculpte en dessinant.   


Love DT


LE RETOUR CHEZ SOI




Certains voyageurs ne reviennent jamais. Ils prennent racine, et trouvent leur place dans l’ailleurs. C’est ce qui est arrivé à un homme que je connais, un symboliste d’Itaparica, un peintre américain dont le chef-d’œuvre est la maison dans laquelle il vit, une villa sur une île brésilienne dont les murs couverts de toiles bleues transforment les vues de son atelier en de fantastiques paysages naturels et marins. Ces peintures représentent les fleurs, les poteries et les habitants de l’île – ses amis et connaissances. Il les mystifie, et eux l’enracinent. Il ne peut plus s’en aller désormais. Il s’est fondu dans le décor et fait corps avec les paysages qu’il capture. Alors il reste, et ses peintures aussi.   


Cependant, la plupart des voyageurs rapportent leur butin en métropole, des images ou des récits, des notes, des croquis ou des objets trouvés, avant de reprendre le large. Il y a des dynamiques centrifuges à l’œuvre : repoussés par le vortex au cœur de notre civilisation et par la terrible accélération de l’histoire, nous sommes poussés hors des villes en quête de ce que nous avons perdu, de ce que nous avons jeté. Mais des forces centripètes – la vanité, l’anxiété, l’amour, et la loyauté- nous ramènent également au centre. Il est facile d’aller de l’un à l’autre. Nous vivons à l’âge d’or du voyage. Les voyageurs occidentaux venant des pays riches vont partout. Ils parcourent le monde sous toutes les latitudes en essayant à se sentir chez eux. 


Il y a ceux qui voyagent chargés, les sacoches pleines de cartes, de carnets et d’appareils d’enregistrement. Anthropologues, ethno-journalistes : des cowboys de l’esprit qui marchent sur le fil entre l’Occident et le reste du monde, entre l’abondance et l’indigence, la décadence et l’innocence perdue. Ce genre de quêtes produit quantité de livres, d’articles et de photographies – autant de bagages superflus.  

Tremlett est à la recherche d’autre chose cependant, non d’information mais d’inspiration. C’est un voyageur minimaliste, insouciant, et infatigable. Il voyage léger et s’en retourne, non pas chargé de memorabilia ou d’informations factuelles, mais avec quelques formes et couleurs, un nouveau regard sur le monde. Il balaye du revers de la main la dureté, la complexité et la souffrance qu’il rencontre en chemin. Simplicité et bonheur fortuit : voilà ce qu’il recherche. 


Tremlett et moi avons visité beaucoup des mêmes lieux. Mais quand je regarde ses photos, j’ai l’impression d’avoir récupéré la mauvaise valise à l’aéroport. Je ne reconnais rien. Il n’y a aucun souvenir. Ses titres nous disent où et quand, mais les œuvres elles-mêmes ne contiennent aucune indication et ne renvoient à aucun lieu. Perdu dans des champs de couleurs, c’est comme regarder des espaces vierges sur une carte aérienne. Ce qui captive dans les œuvres de Tremlett– sa palette de couleurs austères, son économie formelle, la générosité de ses espaces  – est également ce qui ennuie. Elles évoquent quelque chose d’imposant et d’ancien. Parfois, les aplats de couleur sont traversés d’un idéogramme brisé, un fragment de sens extrait d’un manuscrit inconnu. Ou bien c’est une séquence de mots aléatoire, entrecoupée et intégrée à l’image. Ces détails sont évocateurs mais ambiguës, subversifs et dérangeants.  


Ce sont ses couleurs qui ramènent Tremlett, littéralement, sur la terre ferme. Eau-de-Nil, ocre, fusain, terra cotta, sable : des pigments qui semblent avoir été tiré du sol et appliqué à mains nues sur le papier ou le plâtre. Ces couleurs donnent à son art sa dimension imposante. Où les avons-nous vu avant ? Sur les photos des grottes de Lascaux, sur les dessins sur roche d’Afrique australe, et les peintures de sable des aborigènes d’Australie. Les œuvres de Tremlett nous renvoient aux arts primitifs : animaux peints sur la pierre et images talismaniques venues des rêves. Elles apportent une touche de primitivisme dans le salon, un parfum du monde en dehors du grand art, un monde sans signatures –où les objets d’art ne sont pas encore devenus des placements financiers. 


Les peintures rupestres nous rassurent. Même si leur sens nous est inaccessible, quelque chose en elles nous fait nous sentir chez nous (peut-être parce que leurs créateurs vivaient dans les grottes où elles furent découvertes). Il en va de même pour les dessins muraux et les espaces que Tremlett s’approprie. Dans ses grottes à lui, des pièces retirées et sauvages, nous n’avons jamais autant approché du primitif à l’intérieur du foyer. Ces espaces tranchent subtilement avec les architectures qu’ils occupent. Rejetant les lignes horizontales et la rectilinéarité, elles résonnent d’échos primitifs. À l’intérieur, faisant fi de tout ancrage géographique, Tremlett recrée son propre espace-temps.  


Invité par Gauguin à préfacer le catalogue d’une exposition à Paris, August Strindberg décrit dans sa lettre de refus le trouble ressenti en visitant l’atelier de Gauguin. « Une masse confuse d’images », écrit-il, « baignées de lumière, et qui m’a poursuivi jusque dans mes rêves la nuit dernière. » Strindberg s’avoue constitutionnellement insensible, incapable de comprendre et inapte à appréhender ce que Gauguin cherche à faire. Pourtant, alors même qu’il écrit cette lettre et analyse sa réaction aux peintures de Gauguin, il commence à entrevoir une lueur et à découvrir le Gauguin qui sommeille en lui.   


Ma réaction à l’œuvre de Tremlett est tout aussi ambivalente. Non pas qu’il y ait des parallèles avec l’œuvre de Gauguin, bien plutôt une différence récurrente entre écrivains et artistes, écriture et dessin. Les peintures rupestres, avec leurs enfilades désordonnées d’hommes bâton et leur figures zoomorphiques à foison semblent à mi-chemin vers le hiéroglyphe. Elles marquent le début non seulement de l’art visuel mais aussi de l’écriture. Tremlett ne reconnait pas la distinction que l’on fait entre ces activités (d’où son appropriation préemptive de l’alphabet). Il nous défie de subsumer ses œuvres avec des mots. 


Il y a quelque chose d’instructif dans la résistance qu’il oppose à l’interprétation, dans son rejet acharné du particulier et son refus d’instruire justement. Éclectique dans son exécution et universel dans son inspiration, Tremlett n’a jamais fait partie d’aucune école spécifique. (S’il existe quelque chose comme un « art du monde » et « une musique du monde », Tremlett en fait partie). Contrairement au symboliste d’Itaparica, il n’est attaché à aucun lieu spécifique. Sa force réside précisément dans la non-spécificité. Puisant ses couleurs dans la terre, éternel voyageur, il s’est intégré dans le paysage et a fait du monde sa demeure. Et dans les espaces où il déploie son art, nous aussi commençons à nous sentir chez nous. 



JOHN RYLE


 




Artiste de l'exposition : David Tremlett


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière