David Wolle

Plastic Surgery Simulator commissaire d'exposition Anne Favier

22 janvier - 05 mars 2022

David Wolle

Plastic Surgery Simulator commissaire d'exposition Anne Favier

22 janvier - 05 mars 2022




 

Plastic Surgery Simulator  


Les récentes œuvres sur papier de David Wolle relèvent d’opérations plastiques en chaine. Au départ, une image première – photographie documentaire, dessin de maître – est reconfigurée par détournements de filtres numériques. Au prisme de ces intermédiaires – telle l’application de simulation de chirurgie plastique Plastic Surgery Simulator – l’image est retouchée, remodelée, déformée, transformée dans sa chair. « J’utilise des filtres numériques pour triturer, malaxer l’image, comme de la pâte à modeler ; c’est un processus infini de transformation », souligne d’artiste. Dans la liquéfaction de son morphotype par modélisations esthétiques, l’image « conserve encore son ADN » mais ne se laisse plus reconnaitre ; la figure initiale est désagrégée, liquidée, en d’inextricables surfaces fluides et équivoques. In fine, la simulation digitale s’incarne via des actes graphiques – lavis d’encre, pierre noire, fusain… – de maitres anciens. Des fondus en passages de tons, des effets de lumières contradictoires et mouvantes, des flous gaussiens délicieusement maniéristes signalent les glissements informes de nos corporalités virtuelles lissées, et comme cicatrisées par le dessin. 

La série Pavel, 2018-2021, fait ondoyer une suite d’identités à partir d’un portrait photographique du danseur de ballet russe Pavel Gerdt. La remodélisation numérique poussée à son comble génère des défaillances digitales : aberrations spatiales, formes molles, incongruités visuelles, etc. Lorsque la matière iconographique manque pour combler les béances suscitées par les distorsions algorithmiques, le logiciel produit des hallucinations numériques qui apparaissent notamment au travers de surfaces géométriques qui font disruption dans la représentation. L’image est « digérée » ; son état de délitement est dès lors propice aux explorations par le dessin. La palette graphique de David Wolle se déploie en un large spectre : estompages des plus soyeux, vives attaques, systèmes de hachures et de contre-hachures à l’encre, au fusain, à la pierre noire, voire à la gomme abrasive, réserves, rehauts… Mais que reste-il de l’ADN du modèle Pavel, décorporeisé sous de multiples avatars en cours de transformation ? Ce sont « des hantises numériques », précise l’artiste, qui rappellent aussi les ectoplasmes nébuleux des photographies spirites du début du XX° siècle. Les fantômes chimériques de Pavel reviennent sous forme de torsions, de contorsions dynamiques, de paysages organiques, de replis amorphes, de silhouettes mutantes, … « Toute vie est un défilé anatomique » écrit Emanuele Coccia dans son essai Métamophoses (2020). 

Par ailleurs, d’autres figures sont également débordées par le dessin et ses intermédiations numériques : en toile de fond, se dérobe l’étoile russe Pavlova ou encore Nijinski… 

Dans l’œuvre de Wolle, les figures sont saisies et tout à la fois dessaisies. Ce sont des formes instables, en devenir, qui se font désirer : des formes en formation, en transformation, jusqu’à la transmutation (changement d’état). L’artiste s’intéresse au processus naturel de la morphogénèse – le développement des formes et des tissus – et à ses simulations numériques. Mais comment traduire le transitoire en peinture, et plus encore, par les moyens du dessin ? David Wolle explore pourtant par l’écriture graphique, l’insaisissable mutation des formes et leurs intrications dans des fonds auxquelles elles s’incorporent. Labiles, formes, fonds, motifs, et figures s’amalgament jusqu’à devenir de pures surfaces, paradoxalement ouvertes en profondeur par le dessin. Ces surfaces se parent de textures et d’ornements fluides* infiniment réinventés, en écho aux volumes numériques modélisés en 3D, dont les surfaces virtuelles sont traitées par maillage (et auxquelles l’on peut greffer de multiples textures et décors).  

Au-delà de toute identification, les figures ainsi reconfigurées par les simulations digitales dénotent d’un devenir liquide des corps et des images, soumises aujourd’hui à remodélisations et réactivations, jusqu’à liquidation.  

En parallèle, un ensemble de cyanotypes originaux** révèlent leurs processus d’élaboration manuelle et photosensible, par assemblage et entrelacement d’éléments hétérogènes – des bribes de recherches d’atelier –, déposés de manière transitoire sur le papier, le temps d’une solarisation. Ce réemploi d’un procédé photographique rudimentaire, appartenant à l’histoire de la proto-photographie, permet d’entremêler les techniques. Entre graphique et photographique, objet 3D et papier marbré, empreinte picturale et papier découpé, etc., la distinction devient des plus ténue. Nous retrouvons également la grammaire visuelle et iconographique de David Wolle, recombinée et transférée par contact négatif, en ombres photogrammatiques, tout en nuances de bleu.  


Anne Favier



* Une grande peinture, Kwabornament, est intégrée à l’exposition graphique Plastic Surgery Simulator. Son titre renvoie au style auriculaire (Auricular Style ou « Kwabornement » en néerlandais), dont l’artiste assume l’héritage. Le style auriculaire s’est surtout développé aux Pays-Bas au tout début du XVII° siècle. Entre maniérisme et baroquisme, il se caractérise par l’ornementation fluide, une profusion de formes molles, de contorsions labiles, et de plis extravagants. Il fut notamment redécouvert par les Surréalistes dans les années 1930 et fait l’objet aujourd’hui d’une nouvelle attention. L’appellation Auricular Style renvoie au dessin souple et onduleux de l’intérieur d’une oreille.

**Chaque oeuvre est un tirage cyanotype unique.

 




Artiste de l'exposition : David Wolle


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
10 rue des Aciéries
42000 Saint-Étienne


T: +33 4 77 33 28 93