Jean Messagier

La Belle Lumière, Peintures 1980-1993

16 mars - 29 avril 2023

Jean Messagier

La Belle Lumière, Peintures 1980-1993

16 mars - 29 avril 2023




 

Jean Messagier est de retour 


En 1953, James Johnson Sweeney, alors directeur du Solomon R. Guggenheim Museum, découvre le jeune Messagier comme un protagoniste de certains mouvements en plein essor tels que la seconde École de Paris, l'abstraction lyrique et l'art informel. Messagier refuse ces étiquettes, bien sûr, mais elles lui permettent d'être invité à participer à l'exposition « Younger European Painters », qui voyage à Minneapolis, Portland et San Francisco après son lancement à New York. Trente ans plus tard, en 1982, une exposition personnelle à Chicago marque la dernière fois où les Américains ont prêté attention à Jean Messagier. 


En France et en Europe, la réputation de Messagier est très importante et ancienne. Il a représenté la France au Salón de Mayo de 1967 à La Havane, à la 31e Biennale de Venise et à la 8e biennale de São Paulo. Un premier catalogue raisonné les estampes et les sculptures de Messagier a été publié en 1975. L'État français lui a commandé des timbres-poste, des médailles commerciales et des tapisseries pour la manufacture des Gobelins. Il a été sollicité pour concevoir des décors de théâtre, des affiches, des étiquettes de vin, des boîtes de biscuits, des chars pour les défilés du carnaval, des sculptures éphémères. Les événements et les festivités qu'il organisait pourraient être qualifiés aujourd'hui de happenings, et on se souvient encore de lui pour ses positions agressives d'attaquant lorsqu'il jouait au football dans des matchs qu'il se plaisait à organiser entre artistes et galeristes. 


Entré à l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris en 1942, Messagier a atteint la maturité artistique à une époque où la peinture abstraite nécessitait encore une conversion esthétique, ou du moins une réfutation de la figuration. Tout au long de sa carrière, Messagier a oscillé sans crainte entre l'imagerie figurative et abstraite. Néanmoins, une base d'abstraction significative sous-tend toute l'énergie gestuelle immédiate de ses compositions. Ses coups de pinceaux dynamiques s'efforcent d'exprimer les sensations qu’il perçoit dans l'univers phénoménal. D'où son engagement de toute une vie dans la peinture d'après nature. Cela comprend à la fois la peinture avec la nature et dans la nature. Messagier réalise des dessins sur sable en Sardaigne en 1957 et à Paris en 1967, des dessins sur neige dans sa propriété de Lougres en 1965 et plus tard, des peintures à la bombe sur neige en 1976. Les plus remarquables sont les différentes séries de « givres », dont la plus ancienne date de 1969, compositions dans lesquelles il substitue les processus de la nature à sa propre action tels que la décomposition, la condensation ou le changement de température  sur les pigments et les surfaces. 


Tout comme il défie les conventions picturales par le biais d’expériences radicales en utilisant la nature comme média, Messagier sait aussi habilement manipuler l’ironie. La série « œuf au plat » remet en question l'idéal du chef-d'œuvre artistique en le faisant passer pour un idiot. Sardanapale à l'ombre des œufs sur le plat (1979) fait descendre d'un cran la monumentale peinture historique de Delacroix en l'associant à la cuisine la plus banale. De la même manière, Greta Garbo et Toulouse Lautrec à Bornéo (1986) est une peinture délibérément confuse, dont le titre devient un message énigmatique lorsqu'il est griffé sur la toile par le dos du pinceau du peintre. 


Les dix œuvres majeures rapportées de France par Ceysson & Bénétière et présentées dans l’exposition ont été réalisées au cours des vingt dernières années de la vie prolifique de Messagier. Ces œuvres matures continuent de manifester la sérénité tendue qu'appréciait déjà la critique américaine Annette Michelson en 1964. Dans un catalogue de la galerie Lefebvre à New York, elle admire l'absence de pathos de Messagier et compare son travail au pinceau à une respiration : « Ces paysages ont une immédiateté unique, comme s'ils étaient insufflés dans l'existence : ils dissipent la notion de durée du geste ». Des décennies avant que Messagier ne se moque des maîtres modernes avec des tableaux aussi légers et dérangeants que Picasso, non (1977) ou La promenade de Watteau et Fragonard (1990), l'analyse du paradoxe central de l’œuvre de Messagier par Michelson  – « un art essentiellement non historique qui se rattache directement à ce qu'il y a de dynamique et de plus précieux dans la peinture du passé » – est toujours valable.


En 1982, la Galerie d'Art International de Chicago publie un essai de Dore Ashton concernant l’œuvre de Messagier des années 1950 et 1960. Elle n'avait sans doute pas vu des tableaux comme Betty Boop sur les genoux du Doubs (1980), Portrait de l’été (1980), ou Le printemps pour la panthère rose (1982), puisqu'ils n'étaient pas exposés à Chicago. Néanmoins, Ashton discerne déjà les prémices de l'impertinence qui deviendra l'une des marques de fabrique du travail ultérieur de Messagier. Elle attribue cette désinhibition en partie à son séjour à New York en 1960, où il a été marqué par sa rencontre avec Mark Rothko. Selon elle, « l’audace des grands vides débordants de Rothko, qui exigeaient la soumission du spectateur à l'immersion dans des champs de lumière, frappa Messagier avec force. Après son retour à Paris, il se sent enhardi par le souvenir des grandes surfaces de Rothko. Son geste devient encore plus spontané, il s'agrandit jusqu'à ce que ses toiles, dont la surface est minimale, deviennent d'immenses arabesques qui s’autoréférencent. »


Bon retour à New York, Jean Messagier ! 


Rachel Stella
Paris, janvier 2023 

 




Artiste de l'exposition : Jean Messagier


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
956 Madison Avenue
10021 New York


T: +1 646 678 3717