Mitja Tušek

Freizeit ist Arbeit

12 juin - 30 juillet 2021

Mitja Tušek

Freizeit ist Arbeit

12 juin - 30 juillet 2021




 

La galerie Ceysson & Bénétière est heureuse de présenter dans son espace de Wandhaff "Freizeit ist Arbeit", une exposition de Mitja Tušek. Bien que traversant les douze dernières années de son travail, cette exposition n'est résolument pas une exposition rétrospective. Mitja Tušek a choisi de présenter en regard d'oeuvres récentes quelques ensembles plus anciens. 


Plutôt que de creuser le sillon d’une pratique sans cesse recommencée, Mitja Tušek a toujours refusé la linéarité et a intégré dès les prémisses des suspensions, des syncopes, et des ruptures dans son travail. Mitja Tušek travaille de manière simultanée à différentes séries. Celles-ci peuvent apparaître parfois contradictoires. Cependant dans leur juxtaposition des corrélations s’installent, des conversations muettes s’entretiennent, une paradoxale cohérence se crée. 

L’approche du travail pictural est pragmatique. Matière, couleur, duplication, trame, tache, trace, figures, espace, les ressources de la peinture sont toutes explorées par le geste, et par la pensée aussi. Huile, acrylique, vernis sont soumis à de multiples protocoles. Sous les contradictions et oppositions entre une série et une autre se trame un vaste déploiement.  La pratique de la peinture pour Mitja Tušek est une opération dialectique, toute norme est révoquée.


Les tableaux récents évoquent des groupes d’individus. Chaque tableau fait se côtoyer une petite société de visages improbables. Ceux-ci se superposent, se masquent les uns les autres. Chaque visage se compose de taches de peinture parfois barbouillée, parfois simplement versée, parfois étalée au couteau. Neuf cercles, de tailles différentes et se chevauchant souvent, d’un noir profond et mat semblent figurer les éléments du visage, nez, bouche, yeux, etc. Aussi ces visages composés de neuf cercles semblent faire allusion au paradis et à l’enfer de la Divine comédie de Dante. Les neuf orbes de l’enfer, tout comme les neuf orbes du paradis selon Dante sont des lieux habités par des saints et des pécheurs. Dans une  proximité avec les orbes de Dante, chaque visage semble offrir dans sa singularité son propre mélange de vices et de vertus.

Les peintures évoquent peut-être des captures d’écran de réunions Zoom ou Skype, mais probablement est-ce le temps passé devant nos écrans durant le confinement qui suscite cette interprétation de tableaux commencés bien avant le début de l’épidémie. En tout cas, Mitja Tušek l’affirme, il s’agit bien ici de peintures de la vie moderne, ou peut-être même des peintures des âmes vagabondes de la vie moderne.


A partir de 2006, Mitja Tušek commence des tableaux désignés comme « forêts ».  Pas d’horizon, l’espace y est sans repère, le regard se perd dans un fouillis resserré de teintes et de matière. Celui-ci présente ça et là des trames homogènes. En effet Mitja Tušek a imprégné de peinture puis appliqué sur la toile des feuilles de plastique à bulles, en conséquence et de manière tout à fait étonnante la profondeur apparaît en pleine surface. Le regard se perd dans des événements complexes mais qui toutefois se résolvent en un ensemble cohérent. De manière aléatoire mais réellement efficace une figure se manifeste sous nos yeux, or ce que nous voyons n’est pas la représentation construite d’un paysage, d’un sous-bois, ce que nous voyons c’est un paysage en train de se construire sous nos yeux. Il n’y a de sous-bois que pour celui qui veut bien le contempler. Tout en expérimentation, la forêt émerge comme d’un accident intentionnellement rectifié. 

Ce qui semble importer à Mitja Tušek c’est bien le regard sans cesse renouvelé que le spectateur porte sur les taches tramées, un regard en acte et non la simple faculté de la vision. Le spectateur immédiatement et presque involontairement cherche à discerner ce que celui-ci lui propose. Ses interprétations se font nombreuses. La lecture du tableau n’est chez Tušek jamais unique, elle est  multiple.

Le rapport entre regard et lecture, le rapport de la forme au signe se troublent. C’est bien cela ce qui est en jeu dans les Peintures textes , ensemble de tableaux commencé en 2009. 

Leur double structure rappelle les planches mises au point par le psychiatre Hermann Rorschach. Toutefois ces arabesques évoquant des insectes peut-être, des squelettes, d’étranges créatures peut-être aussi, n’ont rien des tests psychologiques. Peut-être renvoient t’elles pour Mitja Tušek  au souvenir du générique de l’émission de la BBC Vision On qu’il regardait assidûment dans son enfance.

Ici les mots, tantôt uniques tantôt couplés, sont issus de visions électives de Tušek lecteur de Comme il vous plaira de Shakespeare. L’Oeuvre éponyme se compose de sept toiles, chacune dédiée à un des sept âges de la vie caractérisés par Jaques dans sa célèbre tirade: « infant, schoolboy, lover, soldier, judge, pantaloon, oblivion » Tracés sur un côté de la toile qui est ensuite repliée sur elle-même pour occasionner un double inversé, les mots transportent dans leur forme même un dessin suggestif, peut-être que Infant mime l’allure d’un nounours, Lover celui d'embrassades, Soldier revoie peut-être à une armure, mais ici comme dans les tableaux de « forêt » la lecture d’une image se brouille et se veut simplement suggestive. Les mots sont présentés verticalement, c’est pour le spectateur en premier lieu une figure encore indéterminée qui s’offre à la reconnaissance, elle est ensuite identifiée, puis enfin décodée. C’est  donc d’abord une image qui apparaît. Chaque lettre est une image, une image dessinée.  Au delà de leur sens, les mots formés sont des images. Mitja Tušek l’a bien compris, écrire c’est dessiner.  Ainsi l’espace entre lecture et regard se contracte,  signe et image se confondent dans l’instance de la peinture. Le lecteur est-il spectateur ? Le spectateur est-il lecteur ? Plus d’écart. Car tout devient peinture chez Tušek.


Big Easy se compose de dix tableaux de format 200X150 cm. Un réseau de lignes, interrompues par les bords de la toile, occupe chacun des tableaux sur des fonds de tonalités proches et pourtant à chaque fois distinctes. Boucles, courbes, entrelacements sont peut-être des traces laissées par des avions dans le ciel, un réseau du périphérique autoroutier autour d’une métropole ou les traits griffonnées sur une feuille de papier lors d’un appel téléphonique. Les dix tableaux certes composent un ensemble, chacun garde toutefois son autonomie de lecture. 

Si les lignes renvoient aux mouvements du corps du peintre, ses gestes créant une variété d'épaisseurs et de directions, un méandre de lignes giratoires, il s'agit toutefois de représentations soigneusement rendues de câbles scannés, posés sur la plaque d'une machine et ensuite agrandis en proportion lors du transfert sur la toile sans que le spectateur soit amené d'une quelconque manière à revenir à la source réelle de l'imagerie. Ici encore Mitja Tušek ouvre à de multiples lectures et interprétations.

 




Artiste de l'exposition : Mitja Tušek


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière