ORLAN

ORLAN Telle qu'en elle-m'aime

25 novembre 2021 - 15 janvier 2022

ORLAN

ORLAN Telle qu'en elle-m'aime

25 novembre 2021 - 15 janvier 2022




 


 Vous qui lisez ces lignes, que faisiez-vous quand vous aviez seize ou dix-sept ans ? Selon toute vraisemblance, vous conformant aux injonctions tant sociales que familiales, vous étiez alors simplement élève. A cet âge-là, manifestant une précocité peu commune, ORLAN, qui est née en 1947, n’avait certes pas encore adopté le nom qu’elle allait créer quelques années plus tard pour se présenter et s’auto-désigner, mais elle était déjà artiste. Il convient ici de rappeler qu’à l’époque des premières œuvres plastiques d’ORLAN, l’âge de la majorité, en France, était alors de vingt-et-un ans et qu’il ne fut abaissé à dix-huit ans qu’en 1974. Rappelons aussi que c’est seulement en 1965 que les femmes françaises ont obtenu le droit de détenir un compte bancaire en leur nom et de travailler sans le consentement de leur mari ! 

Pourtant, dès 1964, cinq ou six ans avant d’être majeure civiquement et socialement, la toute jeune fille était adulte artistiquement. Elle accouchait ainsi « d’elle m’aime » dans une œuvre à la précocité sidérante. Dès cette époque, à un moment de leur vie où presque toutes les personnes se cherchent et se forment encore, en se laissant porter par les décisions d’autrui, ORLAN, elle, s’affirmait pleinement. Elle prenait en main sa vie d’alors et son destin. Age biologique, âge social et génération – nous évoquerons aussi l’assignation genrée - font bien apparaître comment ORLAN a su se libérer de nombreux déterminismes pour s’affirmer comme artiste. Elle a, de surcroît, posé les bases de son œuvre qui, plus d’un demi-siècle plus tard, tout en se renouvelant de façon impressionnante, s’est déployée avec une cohérence et une force peu communes. Il faudra donc bien accepter un jour de considérer qu’il existe un mystère ORLAN : comment la toute jeune fille née à Saint-Etienne, loin de tout foyer de création – a fortiori à une époque à laquelle l’art contemporain restait encore largement à inventer – a-t-elle pu s’emparer aussi précocement de son destin - tant de femme que d’artiste - et poser les fondements d’une œuvre dont les premières manifestations ont immédiatement été fulgurantes ?

Les œuvres de - toute – jeunesse saisissent par leur intensité plastique, qui n’est en rien amoindrie par le passage du temps, bien au contraire. Leur contextualisation, tant par rapport à la biographie de l’artiste que par le contexte social qui les a vu naître, ne peut manquer de fasciner et leur confère encore plus de profondeur. Qu’il s’agisse de l’œuvre séminale ORLAN accouche d’elle m’aime, des séries des "Corps-sculptures", des "Tentatives de sortir du cadre" ou de l’iconique Nu descendant l’escalier avec talons compensés, ORLAN, bien qu’encore mineure, construisait déjà une œuvre majeure. Si, en 1977, Le baiser de l’artiste a révélé l’artiste au grand public et constitue à ce titre un tournant dans sa carrière, il ne s’agit nullement d’une rupture. La réinterprétation, la même année, de La grande odalisque d’Ingres poursuivait les recherches sur les draps du trousseau. Ceux-ci devaient accompagner la jeune fille dans son destin tout tracé d’épouse et de mère. C’est à ce seul avenir que le statut de femme prédestinait si ce n’est condamnait alors chacune d’elles. Pourtant, détournés avec une mordante ironie par l’artiste, ces mêmes draps donnaient naissance à l’exubérante série des Drapés baroques.

Bien sûr, étant donné la richesse de l’œuvre d’ORLAN, ses emprunts récurrents à l’histoire de l’art et vu la contribution majeure de la créatrice à l’art contemporain, il se révèle aisé de situer l’artiste dans une longue filiation et de faire état de nombreuses parentés. Les œuvres rassemblées dans l’exposition ne manquent pas d’évoquer les plus grands artistes, outre Ingres déjà nommé et Duchamp évoqué à travers son Nu descendant un escalier totalement réinterprété : qu’il s’agisse notamment de Caravage, maître du clair-obscur, ou du Bernin, génie de la sculpture baroque. Pourtant, c’est aussi et surtout chez ORLAN elle-même, et dès ses tout débuts, que l’on trouvera les clefs principales pour comprendre comment s’est construite toute sa création ; celle-ci s’est, en effet, largement auto-engendrée. C’est en ce sens que les deux séries de Self-hybridations, précolombiennes à la toute fin des années 1990, puis africaine au commencement de la décennie suivante, trouvent toute leur place dans l’exposition. Outillée des nouvelles technologies alors disponibles, l’artiste a donné naissance à des autoportraits dont elle a pu déterminer librement les traits, se façonnant de nouvelles identités.

Sans prétendre aucunement à l’exhaustivité, mais en tirant parti de la diversité et de la grande richesse des œuvres présentées, l’exposition permet de mieux comprendre comment, en plus d’un demi-siècle de création ininterrompue, ORLAN, tout comme son œuvre, s’est constamment créée. Et emparée d’elle m’aime.


Alain Quemin






 




Artiste de l'exposition : ORLAN


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
21 rue Longue
69001 Lyon

Horaires:
Mardi – Samedi
11h – 18h
T: +33 4 27 02 55 20