Daniel Firman

Put on your red shoes and dance the blues

21 octobre - 04 décembre 2021

Daniel Firman

Put on your red shoes and dance the blues

21 octobre - 04 décembre 2021




 

On ne dévoilera pas tout de la prochaine exposition de Daniel Firman, mais elle s’imposera dans la rétine du regardeur par son envahissement de la couleur rouge. Tout sera rouge ! Ayant travaillé cette tonalité, parmi d’autres, depuis fort longtemps, Daniel Firman a souhaité en développer la force et la prégnance, au point de lui dédier une série entière. Le rouge est la couleur qui connaît les interprétations les plus larges et paradoxales possibles. Elle est celle qui s’associe au pouvoir et fut longtemps l’effigie des Papes. Elle est la couleur de la séduction, de la passion ou de la colère, la couleur du sang. Mais elle symbolise encore la chance, le bonheur et le feu et, particulièrement en Chine, la joie et la bonne fortune. Daniel Firman l’a étudiée et découvert que cette carnation est la plus ancienne à être apparue dans l’histoire de l’art, immédiatement accompagnée d’une dimension sulfureuse... « Le rouge, débute-t-il, est la première couleur que l’humanité ait maîtrisé, au niveau des teintures ou des peintures. Les pigments provenaient du cinabre, un quartz qui était pilé pour faire un rouge exceptionnel dont le versant synthétique est devenu le vermillon. C’était une vraie pierre que l’on trouvait majoritairement en Espagne ou en Turquie, mais elle était remplie de mercure et se révélait ultra- toxique. Or, on sait que les fresques des demeures patriciennes de Pompéi étaient toute faites de cinabre et que le danger était déjà reconnu, mais nul ne voulait se substituer à la beauté de ce pigment. Les gens étaient prêts à s’empoisonner pour pouvoir afficher la richesse de ce colorant, qui était alors plus puissant que l’or. » Selon l’artiste, le rouge serait donc associé à l’image d’un délicieux poison dont on ne pourrait se passer...

Ce choc esthétique accompagne une réflexion toujours en mouvement de Daniel Firman sur la sculpture, dont on connaît les personnages en Attitude ou en Gathering depuis de nombreuses années et sur lesquels il appose une nouvelle dimension. Deux modèles, un féminin et lui-même, sont réduits à une hauteur de cinquante centimètres, tandis que celle des objets qu’ils portent, non transformés, est proposée à l’échelle 1. Il poursuit ainsi une forme d’affinité intellectuelle proche du courant du Nouveau Réalisme ou du Pop Art, quant à l’implication des témoignages de la société dans l’œuvre d’art, tout en développant des problématiques propres au médium. Comment soutient-on un objet ? Quelle en est la mémoire du corps ? Comment la notion d’encombrement se définit-elle ? « Car, poursuit-il, le principe de réduction dans la sculpture est le moyen de percevoir la réalité à travers des échelles différentes et de perturber notre perception. Les objets prennent une autre dimension du fait de la réduction du corps, qui devient ici une forme étalon, et un phénomène inversé se met en place. » La lecture sur ces sujets est d’autant plus troublée, qu’il sont dévoilés comme des pièces détachées et recomposées. En 2019, lors de son exposition à la Galerie Ceysson & Bénétière de New York (Plastic Confetti), Daniel Firman avait déjà expérimenté le fait de récolter un témoignage de l’Upper East Side, via ce que ses résidents ou passants en laissaient dans la rue. Pour ce nouveau solo-show, il nous emmène en Turquie, où il vit une partie de l’année et où le tri des déchets s’effectue très différemment qu’en Europe ou aux Etats-Unis. La communauté Hurdaci ramasse l’ensemble de ce qui peut être jeté, puis l’emmène dans des entrepôts où sont dépiautés les moindres appareils électriques ou électroniques. « Or, pour un sculpteur, précise Daniel Firman, il est totalement fascinant d’avoir accès à ces matières premières et à ces matrices de formes, qui offrent un point de départ pour développer des narrations inédites. C’est un nouveau langage, après celui de tailler des structures complexes dans la matière pour en faire émerger des sculptures. Au-delà d’un témoignage sur notre société, je souhaite emmener le spectateur dans une relation de rêverie, à travers cette interrelation avec les formes. Les histoires se nourriront également des émanations physiques et du ressenti de l’espace ou des corps. »


Au-delà d’une esthétique de l’évidence et de mise en avant d’objets du quotidien ou d’attitudes contemporaines, Daniel Firman a toujours travaillé sur le son ou le souffle. Sur ce qui participe à la création d’une œuvre, sans apparaître de manière évidente. Il a beaucoup collaboré avec des danseurs et analysé le positionnement et la définition du corps durant chaque acte, intégrant ce que l’on ne voit pas et employant parfois le mot de « tracing », soit la forme résiduelle laissée par un geste. Même quand il semblait se focaliser uniquement sur les objets, il les concevait dans une mise en humanisation, voyant en la sculpture cette possibilité de renversements infinis des positionnements. Comme pour chacun d’entre nous, les confinements ont été un temps d’arrêt et de réflexion durant lequel l’artiste est revenu à ses propres bases pour développer de nouvelles histoires. Bien entendu, il s’implique dans notre monde à tous en traitant, indirectement, de l’environnement et de l’upcycling, mais aussi de géopolitique quand on sait que la Turquie récupère l’ensemble des déchets plastiques européens. Par ailleurs, n’oublions pas que son apprentissage artistique se fit au moment de la naissance de l’esthétique relationnelle. Chaque médium voit alors ses frontières se flouter et la nécessité d’une interaction avec le public, également pour une pratique si ancestrale et statique que la sculpture. Par un revirement de situation ou une sorte de pirouette aidée par la force de la couleur, il se réapproprie aujourd’hui une approche plus formelle de son œuvre, afin d’en démarrer un nouveau récit. Il se fascine pour des objets oubliés, désormais inutiles, qu’il nomme « unplug » et qui rentrent, selon lui, dans une béatitude totale. Il rend hommage à ce qui devient juste encombrant, n’ayant plus de sens, ni de finalité dans le monde... Mais qui, alors, peut acquérir un autre usage. Daniel Firman fait l’éloge d’une vacuité salvatrice, totalement réactivée au sein de ce récit par l’énergie et l’image obsédante de la couleur rouge.


Marie Maertens

 




Artiste de l'exposition : Daniel Firman


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
23 rue du Renard
75004 Paris

Horaires:
Mardi – Samedi
11h – 19h
T: + 33 1 42 77 08 22