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Presentation

« Il est possible que la question de la peinture ne soit que la question du pli. » écrivait Simon Hantaï, dont l’œuvre a su explorer avec une radicalité féconde les potentialités du pliage. 

À l’heure de clore une année dense, Ceysson & Bénétière consacre l’exposition estivale de sa galerie parisienne à cette notion à la fois plastique, conceptuelle et poétique : le pli, et par extension, le drapé. Dix artistes réunis, issus de générations différentes, témoignent ici de l'extrême polysémie de ce motif ancestral.

Partie de matière rabattue sur elle-même, créant une ondulation ou une trace, le pli tissu apparaît comme un piège visuel rythmant la composition d’une œuvre. Tantôt support, tantôt matériau, il devient aussi un prétexte à l’exploration formelle, permettant à l’artiste de manifester sa virtuosité à travers la création de l’illusion du volume, qu’elle soit picturale ou sculpturale. 

Les artistes réunis dans cette exposition incarnent les multiples potentialités plastiques du pli et du drapé, tant dans leur dimension illusionniste que dans leur présence tangible et tridimensionnelle. À travers leurs œuvres, le pli se révèle d’abord lié intimement à la représentation du corps, par le médium du dessin et de la photographie, avant de s’en détacher peu à peu pour devenir protagoniste central de l’œuvre. Il porte alors, de manière physique ou métaphorique, la marque du geste créateur, témoignant d’un dialogue vivant entre matière, forme et mémoire du corps présent en négatif.

On pense d’abord au drapé classique, tel qu’il s’impose dès la Renaissance comme sujet d’étude et exercice de virtuosité formelle, mais aussi comme véhicule d’affects au service de ce qu’Alberti appelle l’Historia. Chez Jean-Luc Verna, le dessin n’a rien d’un simple exercice préparatoire : il constitue la colonne vertébrale de toute sa pratique. Par un geste précis et maîtrisé, l’artiste détourne les codes académiques qu’il subvertit, faisant du dessin un espace de transgression.

La tension dramatique du drapé prend une portée spirituelle, voire mystique, dans la relecture de la Pietà de Michel-Ange par mounir fatmi. Constituée de câbles, la Vierge en mater dolorosa évoque autant la communication entre les homme que celle entre le terrestre et le divin. Le dynamisme du drapé guide le regard dans une rhétorique dramatique.

À la manière de Corradini dans son Allégorie de la Pudeur (1752), l’artiste, paradoxalement, ne vêt la chair que pour mieux la dévoiler à la suggestion du désir. C’est cette tension que reprend ORLAN dans sa réinterprétation de La Grande Odalisque d’Ingres, où le tissu devient le vecteur d’une réflexion sur les stéréotypes de genre, les attributs féminins et l’imagerie héritée de l’histoire de l’art. Les draps du trousseau, matériau de cette œuvre vivante, portent en eux un récit intime et critique, à la croisée de l’histoire personnelle et du patrimoine visuel occidental.

Rapproché du corps jusqu’à s’y confondre, le pli fini par le remplacer, puis par évoquer métaphoriquement son action. Dans cette approche, le plissement figure une absence : il incarne un corps sans le montrer, comme une empreinte métonymique. Moulées dans le métal, les chaussettes sales hyperréalistes de Wilfrid Almendra figent un fragment du quotidien, comme encapsulé dans un instant suspendu. Par ce « faux mou », l’artiste brouille les repères perceptifs, tout en détournant avec finesse les codes du Beau ainsi que l’héritage académique du drapé.

À partir des années 1970, les artistes du mouvement Supports/Surfaces intègrent l’opération du pli dans leur démarche de déconstruction du tableau, en prolongeant les recherches menées par Simon Hantaï, dont les pliages avaient profondément renouvelé le rapport au geste et à la surface picturale. Chez Patrick Saytour, le corps investit par le pliage toute la surface de la toile, qui correspondant quasiment à son envergure. La toile pliée, puis dépliée, capture les marques du mouvement opéré, laissant perceptible le procédé rudimentaire de fabrication.

Matériau pauvre servant sur les chantiers de peinture en bâtiment, la tarlatane accompagne le travail de Noël Dolla depuis 1969. Peinte par trempages successifs avec séchages intermédiaires, il la soumet à la logique du matériau qui sera plié, déplié et replié. Les strates colorées s’agencent en une peinture sans narration ni états d’âme, où l’intention cède la place à l’acte. Son ancien élève, David Raffini, prolonge cette pensée dans sa série de Brumes et ondoiements, où chaque toile libre porte la mémoire de son geste. Le tissu peint devient paysage abstrait habité par la présence sensible de l’artiste et des inflexions du corps dont elle garde le choc. Le pli ici transforme la surface en objet, par l’illusion de tridimensionnalité malgré la planéité réelle. 

Chez Aurélie Pétrel, la drapé devient le sujet-même de l’œuvre par une simple prise de vue en gros plan d’un rideau de cinéma abandonné. Le pli photographié, sorti de son contexte qu’on ignore, est recomposé dans l’espace d’exposition. Il y est autant image auto-référentielle et abstraite que déclencheur narratif, symbole d’une fiction à venir. 

Ainsi, le pli se révèle ici comme l’incarnation sensible de l’expressivité du corps, laissant place à la spontanéité et au hasard qui le distingue du drapé académique. D’abord étroitement lié à la représentation de la figure humaine, il s’en émancipe progressivement pour ne retenir que la trace de ses gestes, jusqu’à devenir autonome, véritable sujet de l’œuvre.

Mara Di Maggio


Installation views
To the left, Simon Hantaï, Sans titre, (1971). To the right, mounir fatmi, La Pieta 1/5, (2007)
To the left, Simon Hantaï, Sans titre, (1971). To the right, mounir fatmi, La Pieta 1/5, (2007)
To the left, Jean Luc Verna, Avant que B. ne devienne Z. III; Avant que B. ne devienne Z. II; Avant que B. ne devienne Z., (2023). To the right, Simon Hantaï, Sans titre, (1971)
To the left, Jean Luc Verna, Avant que B. ne devienne Z. III; Avant que B. ne devienne Z. II; Avant que B. ne devienne Z., (2023). To the right, Simon Hantaï, Sans titre, (1971)
At the center, David Raffini, (2025). To the right, Jean Luc Verna, Avant que B. ne devienne Z. III; Avant que B. ne devienne Z. II; Avant que B. ne devienne Z., (2023)
At the center, David Raffini, (2025). To the right, Jean Luc Verna, Avant que B. ne devienne Z. III; Avant que B. ne devienne Z. II; Avant que B. ne devienne Z., (2023)
To the left, Claude Viallat, 2019/061, (2019). To the right, Nicolas Momein, Sans titre, (2016)
To the left, Claude Viallat, 2019/061, (2019). To the right, Nicolas Momein, Sans titre, (2016)
To the left, Noël Dolla, Plis & Replis (Suite Bleue) Entre Orion et Alpha du Centaure 14/3/2018, (2018). In the background, Aurélie Pétrel, 1962 (verre) - 28 avril minuit chez Roland, (2022). To the right, ORLAN, ORLAN en Grande Odalisque d'Ingres, (1977)
To the left, Noël Dolla, Plis & Replis (Suite Bleue) Entre Orion et Alpha du Centaure 14/3/2018, (2018). In the background, Aurélie Pétrel, 1962 (verre) - 28 avril minuit chez Roland, (2022). To the right, ORLAN, ORLAN en Grande Odalisque d'Ingres, (1977)
To the left, mounir fatmi, La Pieta 1/5, (2007). To the right, Noël Dolla, Plis & Replis (Suite Bleue) Entre Orion et Alpha du Centaure 14/3/2018, (2018)
To the left, mounir fatmi, La Pieta 1/5, (2007). To the right, Noël Dolla, Plis & Replis (Suite Bleue) Entre Orion et Alpha du Centaure 14/3/2018, (2018)
To the left, Nicolas Momein, Sans titre, (2016). To the right, ORLAN, ORLAN en Grande Odalisque d'Ingres, (1977)
To the left, Nicolas Momein, Sans titre, (2016). To the right, ORLAN, ORLAN en Grande Odalisque d'Ingres, (1977)
Featured Artworks
Fold and re-fold (J2015)
Fold and re-fold (J2015)
2015
57.5 x 65.0 cm / 22.6 x 25.6 in
ORLAN en Grande Odalisque d'Ingres
ORLAN en Grande Odalisque d'Ingres
1977
147.5 x 207.0 cm / 58.1 x 81.5 in
1962 [verre] - 28 avril minuit chez Roland
1962 [verre] - 28 avril minuit chez Roland
2022
235.0 x 104.0 x 1.0 cm / 92.5 x 40.9 x 0.4 in
La Pieta 1/5
La Pieta 1/5
2007
255.0 x 210.0 cm / 100.4 x 82.7 in
Visitor information

Location

Ceysson & Bénétière Paris

23 rue du Renard
75004 Paris

+ 33 1 42 77 08 22

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Opening Hours

Lundi: Fermée
Mardi: 11:00 - 19:00
Mercredi: 11:00 - 19:00
Jeudi: 11:00 - 19:00
Vendredi: 11:00 - 19:00
Samedi: 11:00 - 19:00
Dimanche: Fermée

Exhibition Dates

26 juin 2025 - 26 juillet 2025

Opening reception

26 juin 2025 à 20h00