« Notre mouvement était aussi un mouvement de révolte, tant sociale qu'esthétique. » Supports/Surfaces cherchait un moyen de « se révolter contre le monde de l'art et le monde en général sans pour autant faire de l'anti-art. » — Daniel Dezeuze
Les gestes étaient simples : plier, draper, répéter. Et pourtant, un groupe de peintres français les transforma en une véritable forme de révolte. Les artistes associés à ce qui allait devenir Supports/Surfaces rejetèrent l’illusionnisme, l’orthodoxie artistique et la marchandisation de l’art, privilégiant la couleur, la surface et le support. Les œuvres qui en résultent sont provisoires et ouvertes, tout en restant obstinément ancrées dans la matière. Tirée des années 1960 et 1970, cette exposition revisite l’urgence d’un moment où l’abstraction elle-même est devenue un lieu de résistance.
Né dans la foulée de l’art informel et à l’ombre du formalisme greenbergien, Supports/Surfaces cherchait à s’affranchir à la fois de la subjectivité expressionniste et de la quête moderniste de spécificité des médiums. Plutôt que de rechercher le raffinement ou la pureté picturale, ces artistes embrassèrent la résistance que les « choses elles-mêmes » matérielles opposent aux hiérarchies esthétiques. Au lendemain de Mai 68, avec ses barricades et ses occupations, la toile tendue devint un symbole d’autorité et une relique de l’establishment. En recourant au tissu non tendu, à la teinture et à des outils improvisés, ces artistes bouleversèrent les conventions de la peinture, laissant la structure céder le pas au geste.
Couper, teindre et draper devinrent des formes de rébellion subtile, souvent ludique, imprégnées du travail, de la vie domestique et de l’expérimentation collective. Leur usage de matériaux modestes — chiffons, draps, cordes, plastique — rejetait le raffinement du marché, privilégiant le toucher, le processus et l’éphémère. D’esprit nomade et portable, leurs œuvres étaient souvent le fruit d’excursions et exposées en plein air, sur les plages, dans les champs, suspendues ou adossées à des bâtiments publics — fragiles étendards d’autonomie et de renouveau.
Louis Cane, Marc Devade et Daniel Dezeuze abordèrent la peinture comme une œuvre à défaire et à refaire. Dans Toile tamponnée (1966), Cane remplace le pinceau par un tampon, recouvrant la surface de rangées de X rouges, une empreinte mécanique qui nie l’expression tout en affirmant la structure. Par leur retenue, ces marques transforment la répétition en une défiance silencieuse, mettant à nu le travail de création et remettant en question le mythe du génie artistique. Peintre et éditeur de Peinture, Cahiers Théoriques, Devade croyait que la couleur pouvait être un lieu de réflexion, une « matière pensante ». Ses deux monochromes à l’encre sur papier (1975 et 1979), l’un vert forêt et l’autre bleu roi, incarnent cette conviction par leur profondeur et leur immobilité. Pour Devade, l’encre, contrairement à l’huile, ne reste pas en surface ; elle s’infiltre, devenant indissociable du support. Les Châssis (1973) de Dezeuze, trois petits châssis gainés de plastique translucide, distillent la peinture jusqu’à ses éléments les plus essentiels, révélant une éthique d’économie et d’ouverture.
Noël Dolla, Patrick Saytour et Claude Viallat menèrent une exploration permanente de la peinture, tant au niveau du geste que de la matière. L’Étendoir aux serpillières (1968) de Dolla suspend trois chiffons reliés, aux bords teintés de violet. Inspirée des matériaux et gestes du quotidien, l’œuvre transforme l’acte du peintre en expérience vécue, fusionnant travail et intention esthétique. Dans Pliage (1967), Saytour aborde la peinture comme une chorégraphie de pliages et dépliages — des actes simples et répétables qui déstabilisent l’ordre compositionnel. Du pli devient mémoire et trace, prolongeant sa quête d’un art ancré dans le processus plutôt que dans la représentation. La corde de Viallat, teinte et nouée à intervalles réguliers, et son œuvre 1975/205, une étendue semblable à un drap peint au pochoir en orange brûlé sur fond ocre et vert kaki, dissolvent la hiérarchie dans le rythme. À travers ces œuvres, la peinture s’inscrit dans le quotidien : artisanale, improvisée et soutenue par la répétition.
« Malgré leurs dénonciations ultérieures du système artistique américain, les peintres de Supports/Surfaces travaillaient, du moins au début, avec un vocabulaire fortement marqué par les préoccupations artistiques américaines contemporaines. » — Raphael Rubinstein, The Painting Undone: Supports/Surfaces
Un demi-siècle plus tard, ces œuvres restent d’une actualité brûlante, à la fois hommage et rappel. Elles montrent que la dissidence n’est pas un moment ponctuel, mais une pratique, exprimée autant par les matériaux et gestes que par les mots et les idées. À une époque marquée par un autoritarisme renouvelé et une fracture sociale, le pli, le drapé et la répétition deviennent des métaphores de persistance — fragiles mais durables, ouvertes mais insistantes. Ces œuvres nous rappellent que l’abstraction, loin d’être épuisée, peut encore porter le risque, la critique et le pouvoir, incarnés dans la résistance même de la matière.
Sean Horton, octobre 2025 (Traduit par Loïc Garrier)





















