Diverses sont les lignes de la vie … Hölderlin

10 septembre - 29 octobre 2016

Diverses sont les lignes de la vie … Hölderlin

10 septembre - 29 octobre 2016




 Sous un intitulé emprunté à Hölderlin, nous préparons une exposition regroupant des œuvres qu’une dénomination thématique trop précise soumettrait à une sorte de « dénominateur commun » ce qui en réduirait les sens et la portée. Néanmoins, de cette belle citation, dont la profondeur et la richesse symbolique sont suggérées par l’emploi de mots simples et évocateurs de la nature, du paysage, du chemin, émane une profonde mélancolie existentielle. Elle semble sourdre de nombre d’œuvres contemporaines dont l’approche fait lever chez qui se tient face à leur face trois interrogations qui semblent être au cœur même de la création artistique contemporaine.

1 - La première de ces interrogations nous confronte à ce questionnement sans fin de l’art comme art comme art, pour parodier Gertrude Stein. Cette question est au cœur même du formalisme moderniste lorsqu’il se risque à ne plus se justifier par le recours à des idéologies dogmatiques et définitives. Ces idéologies, aujourd’hui, ne sont plus de mise. Mais les artistes semblent condamnés à une quête sisyphéenne d’un inatteignable Graal : peindre enfin l’ultime tableau. Le dernier tableau qui incarnerait l’Ouvert. Atteindre l’Ouvert ? Chaque œuvre en relance la quête. Mais celle du dernier tableau n’est plus revendiquée. Aucune œuvre, aucune démarche créatrice, aujourd’hui, ne prétend prévoir un avenir radieux. Et du passé, aucune démarche créatrice ne vise à en faire table rase. Mais elle sait y puiser formes et sujets, que leur réemploi, comme simples motifs, vide de toutes significations. Cette impuissance, dont les artistes ont une très lucide conscience, a trois conséquences : la répétition d’un motif, d’un thème ou d’une forme ; un processus de production sérielle différent du work in progress des années soixante et soixante-dix ou une apparente dispersion manifestée par de brusques sauts d’un médium à une autre ou d’une manière à une autre comme pour interdire l’identification de l’artiste par une forme ou un motif emblématiques. Si ce dessein cependant est manifesté il est traité avec un détachement ironique.

2 – la seconde est présente dans la première. Un artiste, aujourd’hui, même par désespoir, ne peut plus espérer, nous l’avons dit, cet utopique avenir qui réaliserait la fin de l’art, de son histoire, dans l’Histoire enfin achevée. La possibilité d’un engagement politique s’avère désormais très limité. À quelle croyance, à quelle conviction, à quel projet se fier et adhérer ? S’évertuer à peindre la misère des hommes ou la terribilità de la condition humaine en des termes réalistes ? Les artistes ne sont ni des politiciens ni des journalistes. S’ils en sont conscients, ils sont inexorablement condamnés à peindre pour peindre. Peindre est alors à la fois une visée esthétique et une voie existentielle pour appeler à changer le monde. Qui souhaite et s’emploie à interroger l’art comme art sans exprimer émotions et sentiments ou des considérations esthétiques et politiques ne peut pas s’empêcher de laisser sourdre de ses œuvres une irrépressible mélancolie. Il est alors contraint de prendre conscience que, pour échapper à cette situation aporétique, il doit parfois prendre le risque de la « déconstruction ».

3 –Peindre, aujourd’hui, ou tailler la pierre ou le bois ou produire des pièces relevant de la sculpture, semble n’être, ni plus ni moins, qu’un retour ou un recours à de vieilles manifestations praticiennes. Et proclamer que l’on veut peindre ou faire de l’art au présent implique, pour le moins, de renoncer à peindre ou faire de l’art pour l’Avenir. Alors, le passé, l’histoire de l’art ancien et moderne, ne proposent plus de traditions à perpétuer. Mais seulement un vaste thesaurus de formes, de sujets et de thèmes : une banque de données accessible en ligne. Les artistes n’ont plus le support d’une idéologie inspiratrice dont ils peuvent propager les configurations prémonitoires. Toute configuration de formes aspirant à une construction de formes géométriques « constructivistes » conduit, aujourd’hui, à sa déconstruction. La cité idéale engendre la ruine. Et la Mélancolie !

Bernard Ceysson