Wilfrid Almendra

Labor trouble

19 octobre - 02 décembre 2023

Wilfrid Almendra

Labor trouble

19 octobre - 02 décembre 2023




 

Dernièrement, les expositions de Wilfrid Almendra nous mettent face à des scènes qui peuvent nous relier à des souvenirs de cinéma, de théâtre ou d’opéra…des réminiscences familières où toute action aurait été inexplicablement suspendue. Ici, une chaise rustique sur laquelle un pantalon de chantier gris est plié, accueillant à son tour un T-shirt délavé froissé après une journée passé à l’atelier de la rose, à Marseille. Un diorama intimiste qui dessinerait un paysage quotidien à son tour encapsulé. Là, un autre mobilier robuste, une étagère vidée de ses contenants portant une chaussette échouée dont la mollesse donne le change à un sweat plaqué, claqué au sol. Une contraction forte se trame : la mise à plat de l’amas. En effet, la mollesse habituelle de ces vêtements joue avec notre perception car, en réalité, tout y est dur, solide et matériel. Nous comprenons après-coup que les sculptures en bronze plaisantent avec leur histoire académique mais pas seulement.


Entre ces deux scènes, tout renvoie au mouvement de l’activité de production et d’assemblage propre aux tâches répétées de l’artiste Wilfrid Almendra. D’un autre côté, un sentiment d’arrêt sur image, de pause s’impose à nous. Il se dégage de ces environnements une sorte de naturalisme sous-jacent, un effet d’hyperréalisme acéré - bien loin de l’ornement -, tapis dans un environnement de dénuement. Cette mystérieuse atmosphère apporte une certaine confusion cognitive entre trouble et jouissance. Le sentiment général d’étourdissement a pu être provoqué par un évènement furtif, un drame familial ou un petit larcin qui se serait joué, là, juste avant notre arrivée. La jouissance ? Elle serait pétrie d’un univers sous contrôle où tout pourrait être observé et scruté dans ses moindres détails sans honte. Un voyeurisme permis par cet hyper-réalisme de l’objet porté à même le corps de l’artiste au travail, marqué, moulé par la répétition de son port. La mémoire sans affect modelée, façonnée par un usage de convenance. Malgré l’inquiétant abandon de ces objets nécessaires à l’accomplissement de la tâche ou de la corvée - gants, des chaussures de jardin, des marcels, casquettes…  - une forme de sensualité subsiste. Nous retrouvons cet érotisme de la valeur labor, dans les figues éparpillées au sol. Mûres, écrasées laissant transparaître leur pulpe aguicheuse, elles connectent un flux libidinal avec une histoire sensible de la main d’œuvre des chantiers et des exploitations agricoles : grands oublié.es d’une histoire des classes ouvrières, plutôt blanche ? Il se déploie bien devant nos yeux une contre-histoire de l’histoire de l’art façonnée par les lignées du ready-made.


Des chantiers, en périphérie, de destruction et construction de futures zones collectives d’habitation à …l’atelier de Wilfrid Almendra, il n’y a qu’un pas. A deux pas du pavillon familial de Cholet où l’artiste a grandi, il y avait cette immense terrain des possibles de la déchetterie. Une situation à la marge des centres villes où se côtoyaient jardins ouvriers, camps de fortune et terrains de maraîchage. Une proximité qui s’est fait le témoin chaque jour d’une possible reconfiguration urbaine, entraînant le sempiternel ballet du mouvement de la destruction avant la reconstruction. Si notre histoire culturelle est marquée par ces épisodes « héroïques » de l’édification, je pense notamment à celui de ladite « après-guerre », nous disposons de peu de récits relatant l’histoire des destructions architecturales ou, plus modestement, des habitats. Entre sentiment d’impermanence subie par la répétition d’une histoire de la construction et devoir de mémoire des façons de vivre sur un territoire délaissé - qui génèrent des échanges bricolés entre les gens -, la pratique de Wilfrid Almendra façonne sa sculpture. L’attitude de vulnérabilité qui accorde du soin aux matériaux encore délaissés par des habitudes héritées du grand récit du progrès et de son corrélat, la modernisation. Les imaginaires de la domesticité comme les herbiers, la broderie, les bains de décrassage et de dépolissage lui sont finalement plus familiers que le geste souverain donnant lieu à un objet dressé. Des fleurs mauves et d’arbres à papillons caractéristiques des zones en friche se discernent petit à petit, piégées au pied de ses plaques de verres de cathédrale assemblées de sorte qu’elles évoquent des restes de serre de fortune ou des bouts de cabanes de jardin non autorisées. Des limaces bleues klein s’en seraient échappées et baveraient sur les murs du bureau de la galerie le chant du monde où le renversement des éco-systèmes serait imminent et terrifiant. 


Entre les compositions du Dounier Rousseau, à la fois luxuriante et fantastique, et les souvenirs fantomatiques flippants de L’Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul, la première exposition de Wilfrid Almendra, pour la galerie Ceysson & Bénétière, Labor trouble, promet d’être un retournement quant à nos considérations sociales du monde ouvrier et agricole ainsi que ses implications dans l’univers du vivant, la terre des vivant.es.


Géraldine Gourbe, août 2023.

 




Artiste de l'exposition : Wilfrid Almendra


Informations Pratiques

Ceysson & Bénétière
23 rue du Renard
75004 Paris

Horaires:
Mardi – Samedi
11h – 19h
T: + 33 1 42 77 08 22